Titre : Les enfants du purgatoire
Auteur : Claude Ardid
Edition: Alpha / Humensis
Date de parution : 16 avril 2025
Genre du livre : Essai
Dans Les Enfants du Purgatoire, Claude Ardid nous ouvre les portes d’un lieu que peu de romans ou d’essais osent véritablement approcher : la Brigade de Protection des Mineurs. En immersion totale, l’auteur nous livre un récit rythmé, souvent haletant, empreint d’une sincère volonté de rendre hommage aux enquêteurs qui, dans l’ombre, traitent l’insoutenable.
Des victimes, des flics et des failles
Ce témoignage, brut et sans filtre, nous confronte à l’horreur du quotidien : des enfants abusés, des mères désespérées, des policiers qui encaissent les confessions les plus violentes à longueur de journée. On ne sort pas indemne de cette lecture, tant l’accumulation des récits glaçants fait écho à un système judiciaire à bout de souffle.
Mais si l’immersion est réussie, elle n’est pas sans zones d’ombre. Le regard porté sur certaines situations, notamment sur les dépôts de plainte pour viol de femmes, laisse parfois un goût amer. On entend encore des phrases telles que : « Vous dites qu’il vous a violée, mais lui avez-vous dit non ? » Des mots qui illustrent, malgré eux, une vétusté criante dans la formation des forces de l’ordre en matière de compréhension des mécanismes du traumatisme. L’état de sidération, le mutisme ou la dissociation, pourtant bien documentés, semblent encore étrangers à certains discours entendus dans ces couloirs.
Là où l’on espérait une enquête rigoureuse, on se heurte parfois à l’absence de sources précises, de contextualisation ou de bibliographie. Des statistiques sont avancées, des vérités assénées, sans toujours qu’un cadre méthodologique ne les accompagne. Cela interroge, notamment lorsque le propos touche à des questions aussi sensibles que les violences sexuelles ou le consentement.
A bout de souffle
Pourtant, une nuance essentielle émerge à la fin de l’ouvrage. Claude Ardid n’épargne pas l’institution : il dénonce avec force la paupérisation de la brigade, ce service pourtant dédié aux plus vulnérables. Là où d’autres unités bénéficient de moyens considérables, ici on mendie des rames de papier, on entasse trois policiers par bureau, on auditionne des suspects en chaîne dans une précarité administrative aussi absurde que tragique. Cette critique structurelle, implicite d’abord, devient au fil des pages un véritable plaidoyer en faveur de femmes et d’hommes qui, malgré la fatigue, l’usure, la désillusion parfois, continuent de se battre.
C’est là tout le paradoxe : comment ne pas saluer l’engagement de ces enquêteurs qui sacrifient souvent leur vie personnelle, tout en étant bousculé par certains actes qu’ils posent ? Lorsqu’un policier retire des bras d’une mère en fuite ses enfants en pleurs – enfants qui dénoncent par ailleurs un père violent – l’inconfort est immense. Le texte ne juge pas, mais il nous laisse face à cette ambiguïté. Des gens pétris de bonnes intentions peuvent aussi commettre l’irréparable, au nom du droit, de la procédure, d’une institution mal armée. Et c’est peut-être là la force du livre : nous laisser avec nos propres dilemmes.
Les Enfants du Purgatoire n’est pas un livre parfait. Il ne répond pas à toutes les exigences du reportage d’investigation. Il déroute parfois, dérange souvent. Mais il a le mérite de mettre en lumière une réalité méconnue, inconfortable, tragique. Et de nous inviter, malgré ses failles, à réfléchir profondément sur ce que nous attendons d’une justice digne, humaine, formée – et soutenue.