Florange, une lutte d’aujourd’hui chez Dargaud

florange une lutte d'aujourd'hui couverture

scénario : Tristan Thil
dessin : Zoé Thouron
édition : Dargaud
date de sortie : 10 octobre 2014
genre : Docmentaire

Le jeune documentariste Tristan Thil, originaire de Metz, a abordé la question de la disparition de l’industrie sidérurgique en Lorraine à travers plusieurs films documentaires. De Florange, dernier carré, consacré à la lutte conduite en 2009 par des ouvriers de l’Usine Arcelor-Mittal à Florange contre la fermeture des hauts-fourneaux, il a tiré le scénario de Florange, une lutte d’aujourd’hui, dessinée par Zoé Thouron.

La bande dessinée reprend le projet du documentaire de Tristan Thil et le met en scène comme observateur du quotidien des sidérurgistes, tout en évoquant en filigrane et avec pudeur l’autre combat dont il a été le témoin à la même période dans sa vie personnelle, celui mené par sa mère contre le cancer.

Le livre est largement centré sur la dimension humaine du conflit : c’est une véritable immersion dans la relation intime tissée entre des hommes et leur usine. Bien sûr, nous apprenons des choses sur le fonctionnement complexe d’une usine d’acier, sur les promesses des hommes politiques, sur les rapports des employés à la direction, que Tristan Thil expose avec un souci de synthèse et une grande clarté. Mais le propos n’est pas d’analyser les ressorts de la stratégie d’Arcelor Mittal ou d’expliquer en détail le déroulement des négociations entre les grévistes, la direction et le gouvernement, bien que la désillusion vis-à-vis des hommes politiques tienne une place non négligeable dans le récit. Tristan Thil s’attache davantage au point de vue des ouvriers et à leur subjectivité, et ne quitte pas un instant le territoire mosellan : le livre, ainsi, humanise profondément un conflit social qui a été abondamment traité dans les médias et qui, ici, prend corps. Les rapports de travail, le lien affectif et physique aux machines, au travail difficile et dangereux, au paysage industriel, racontés par les travailleurs et mis en mots par Tristan Thil, prennent une dimension et une intelligibilité que l’information médiatique a peu mis en évidence.

En effet, l’histoire relatée dépasse largement la simple narration d’un conflit social : elle nous plonge dans la vie des travailleurs, immigrés venus d’Espagne pour trouver un avenir meilleur dans ce « Texas français », ouvriers enfants d’ouvriers, syndicalistes pour qui l’usine est le cœur d’un engagement qui se mêle à la vie. Tristan Thil raconte la fin d’une histoire : les rappels de la fermeture de l’usine de Gandrange, placés au début de la BD, suggèrent que le sort de Florange est plus qu’incertain. Comme dans son film documentaire, il n’est pas question de suspens. L’idée, que l’on retrouve dans le livre, consistait à prendre le temps pour écouter, précisément, les étapes de cette mort annoncée, des espoirs aux désillusions, et de dresser le portrait des derniers moments d’une relation, celle de ouvriers à leur lieu et leur outil de travail. En ce sens, le parallèle avec le combat personnel de la mère du scénariste, contre la maladie, à peine esquissé mais qui traverse la structure de Florange, prend tout son sens.

La démarche intelligente de Tristan Thil, son approche très centrée sur l’humain, rend le livre touchant et très intéressant. Le dessin en noir et blanc de Zoé Thouron, rappelant un peu Guy Delisle, croque avec vivacité les ouvriers et les hommes politiques, les rassemblements, les machines, et donne à cette BD documentaire une légèreté et une expressivité qui inscrivent définitivement l’histoire loin du manichéisme et des clichés misérabilistes sur une région sinistrée. La plupart du temps, les auteurs sont parvenus à éviter l’écueil de la démonstration ou de l’artificialité qui guettent parfois le genre. Florange y apparaît plus que jamais comme une lutte d’hommes d’aujourd’hui, vivants, combattifs, acteurs et témoins de la marche du monde. Depuis un bout de terre qui n’est, ils en ont conscience, qu’un point sur la carte du monde aux yeux de leur grand patron, ces individus qui ne sont traités ni en victimes impuissantes ni en héros tragiques questionnent, bien au-delà du destin de l’usine, le rapport à la mémoire, aux autres, aux idéaux, porté par le travail. Tristan Thil et Zoé Thouron ont l’immense mérite de faire entendre avec simplicité et justesse cette parole ouvrière, souvent peu audible, et de la rapprocher de nous. Elle a encore des choses à nous dire et le livre la fait résonner avec intelligence.

A propos Emilie Garcia Guillen 113 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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