Des caravelles & des batailles : quand le monde s’éloigne du monde

Ecriture collective et création de Wirikuta ASBL. Mise en scène de Eléna Doratiotto et Benoît Piret. Avec Salim Djaferi, Gaétan Lejeune, Jules Pulbaraud, Anne-Sophie Sterck, Eléna Doratiotto et Benoît Piret. Du 14 janvier au 1er février 2020 au Théâtre Varia. Crédit photo : Hélène Legrand

Du 8 novembre au 13 novembre 2022 au Théâtre des Martyrs.

Directement inspiré de La Montagne magique de Thomas Mann, Des caravelles & des batailles explore avec humour et bienveillance notre capacité à nous évader dans nos mondes imaginaires. Dans ce spectacle, le temps semble dénué de tout sens, les personnages évoluant à un rythme propre à ce lieu dans lequel ils se découvrent face à nous, un lieu où d’ailleurs chacun semble posséder sa propre temporalité.

La pièce débute par une énigme. Trois personnages se préparent. Ensemble, ils forment un comité d’accueil pour une mystérieuse personne. Ensemble, ils attendent que quelqu’un arrive sans savoir qui ce sera, ni même s’il viendra. Ils attendent. Puis enfin, alors qu’ils s’apprêtent à partir, voilà qu’un jeune homme arrive. Il se présente, Andréas, qui vient pour le… Oui, c’est bien ici que… Et nous voilà embarqués vers un lieu inconnu, dans un but inconnu, pour une durée inconnue. Notre imagination va bon train : est-ce un stage de formation ? Est-ce une chambre d’hôtes ? Est-ce un repère d’adorables et polis criminels ? Tout ce qui est révélé au spectateur est qu’il y a des chambres, un réfectoire, un jardin mais surtout, surtout, un grand hall aux briques rouges dont le plafond est soutenu par une énorme poutre renforcée et dont les murs sont parés d’un polyptyque en quatre volets, représentant la chute de l’empire Inca face à une poignée de soldats espagnols. De nos yeux cependant, nous ne voyons que la poutre, de quoi démanger d’autant plus notre imaginaire.

Tout au long de la pièce, l’énigme perdurera. Andréas, nouvel arrivant dans ce lieu mystérieux qu’il s’approprie bien vite, semble pourtant attendre que quelque chose commence. Mais à ses questions, seul le silence répond, foyer de notre imagination débordante. Les personnages évoluent d’après leurs préoccupations décalées : l’inauguration d’un lac découvert à proximité, l’observation des étoiles et l’apprentissage d’une méthode d’enroulage en couverture révolutionnaire, le récit d’histoires devant un bon repas, le retour d’un homme après une longue marche l’ayant mené dans un monde où il était devenu Tsar en visite chez un Tsar, le discours « devant le monde » nécessaire à l’écriture des trois derniers mots d’un livre, ou encore un accès de rage créatrice inspirant à Andréas une envie de peindre sujette à préoccupation. Tout cela se déroulant avec une gentillesse et une ouverture à l’autre communes à chacun des personnages, invitant presque le spectateur, par leurs attrayantes dispositions à tous, à les rejoindre dans leur petit coin de paradis. Et d’ailleurs, les voilà tous réunis de nouveau à la gare pour attendre un nouvel inconnu, sans jamais nous avoir révélé les tenants et aboutissants de leur isolement, bouclant la boucle de cette joyeuse énigme.

Après un tel spectacle, interprété avec brio par l’ensemble des acteurs, nous ne pouvons qu’apprécier l’ambiance à la fois joyeuse et rêveuse dans laquelle nous nous sommes éloignés de la scène. Tout comme nous, le public semblait d’ailleurs conquis par cette pièce d’une légèreté et d’un humour communicatifs. Avis aux rêveurs et aux rêveuses amateurs d’imaginaire et de rire : voilà une pièce à ne pas manquer.