Une salle obscure, bien calé dans son siège de cinéma, peut-être un sachet de popcorn en main pour les plus bourgeoises, les annonces défilent, puis le film commence, et la magie opère. On oublie nos soucis, on arrête de se demander s’il serait bien de prendre le train pour les prochaines vacances ou encore si l’on ne se laisserait pas tenter par des cotons lavables. Et bien, sachez que la production de votre film préféré se pose aussi la question. Elle n’a pas vraiment le choix, de toute manière : on ne peut plus penser le cinéma sans le penser de manière durable.
C’est dans le cadre du BIF Market, organisé en parallèle du BIFFF du 14 au 18 avril, qu’a eu lieu la conférence Cinéma durable – Intégrer des pratiques écologiques dans la production de cinéma de genre, avec comme intervenants Florence Saâdi, du collectif Okayss, et un représentant de chez The Green Shot.

Une durabilité intuitive : l’exemple d’Okayss
Le collectif Okayss a toujours fait avec peu. Depuis ses débuts, la nécessité de « faire bien avec peu de moyens » est au cœur de son fonctionnement. Par souci d’économie, il n’a jamais été question d’utiliser de la vaisselle ou des gobelets jetables. Et comme le dit Florence, c’est une question de bon sens : il fallait gérer un budget très réduit. Ainsi, ces fameux « petits gestes » du quotidien, adoptés avant tout pour des raisons économiques, ont fini par avoir aussi une portée écologique.
Lorsque les fiches durabilité – désormais obligatoires à chaque étape d’aide depuis 2024 pour tous les projets d’initiative belge francophone – ont été mises en place, le plus difficile pour Okayss n’a pas été de repenser le fonctionnement, mais bien d’isoler et de nommer ce qui existait déjà. La durabilité, ici, découle davantage d’une conscience économique que d’un engagement militant. Pour citer Florence Saâdi : « On ne change rien, parce qu’on l’a toujours fait comme ça ».
De l’intuition à une démarche structurée : la fiche durabilité obligatoire
La fiche durabilité a pour objectif d’amorcer une réflexion. Elle n’est pas encore un critère de sélection, mais elle permet à chaque porteur de projet de se pencher sur une stratégie ou, du moins, un plan de développement durable pour la production de son film. Voici quelques-unes des principales questions qu’elle soulève :
- Utilisez-vous un calculateur carbone et/ou une certification écoresponsable pour cette production ?
- Votre démarche d’éco-production découle-t-elle d’obligations liées au dépôt du dossier auprès d’autres fonds nationaux et/ou européens ?
- Quelles sont vos trois principales difficultés pour mettre en place des mesures d’éco-production ?
- Comment encouragez-vous l’équipe de production à s’engager fermement en faveur d’une production durable ?

L’accompagnement de Green Shot : réduire l’impact dès l’amont
Il n’est pas facile d’amorcer des changements écologiques. Par où commencer ? Quand ? Et est-ce que ce sera suffisant ? Pour cela, il existe des éco-référents, notamment chez The Green Shot, qui accompagnent les productions sur ces questions. Ils interviennent dès l’amont pour réduire l’impact écologique, tout en respectant les impératifs créatifs et financiers.
L’idéal est de les intégrer dès le début du projet, car la durabilité demande du temps, de la planification et une réflexion dès les repérages. Les tournages en milieu naturel en sont un bon exemple. Il ne s’agit pas d’interdire les tournages, mais d’informer : faire découvrir la richesse d’un écosystème, évoquer les chemins autorisés, les risques de dérangement… Cela suscite souvent l’intérêt des équipes, qui comprennent vite que ces mesures ne sont pas là pour les contraindre, mais pour préserver le milieu qu’elles vont utiliser.
Fun fact : lors du tournage de Game of Thrones à Malte, l’équipe aurait versé du sable sur un sol très riche en fossiles, ce qui aurait détruit, par infiltration, toute la faune et la flore présentes.
Penser globalement, anticiper localement
Il est essentiel de distinguer les gestes simples et accessibles – comme les gobelets réutilisables, le covoiturage ou le tri – des solutions plus techniques et coûteuses. Sur un tournage, le poste « électricité » est généralement le plus énergivore. L’utilisation d’un groupe électrogène à hydrogène permet de réduire considérablement les émissions, mais représente un investissement conséquent. Une alternative souvent plus viable consiste à se connecter au réseau électrique local ou à un réseau forain. Moins polluantes et souvent plus stables, ces options demandent cependant une anticipation technique dès la phase de préparation.
The Green Shot rappelle que tout peut être optimisé : les transports, l’énergie, les matériaux, les déchets, etc. Pour cela, il faut penser le projet dans sa globalité. Cela passe par des repérages efficaces, la mutualisation des décors, la réduction des déplacements. La durabilité, ce n’est pas faire moins : c’est faire mieux – ensemble, dès le début.
La durabilité, contrainte ou moteur pour la créativité ?
Dans la salle, quelqu’un demande s’il ne serait pas plus pertinent de produire moins de films pour réduire l’impact environnemental. Si la question peut sembler légitime, elle soulève un enjeu fondamental : celui de la diversité culturelle. Comme le souligne Florence d’Okayss, ce n’est pas tant une question d’écologie que de pluralité des voix. Réduire la production à quelques « gros » films rentables risquerait de renforcer les logiques industrielles dominantes. Or, la créativité s’épanouit souvent dans la contrainte.
Les petites productions, en raison de budgets limités, développent des stratégies d’ingéniosité : elles repensent l’écriture pour éviter les effets coûteux, utilisent des astuces artisanales (comme du faux sang fait maison, produit en Wallonie !) et réfléchissent dès la conception à limiter les décors ou les déplacements. Ces pratiques ne brident pas la créativité ; elles la rendent plus consciente, plus inventive et plus ancrée dans la réalité économique et écologique.
Les enjeux de demain
La transition vers des tournages durables ne se résume pas à cocher des cases ou à appliquer des mesures symboliques. Elle suppose une transformation profonde, tant des pratiques que des mentalités. Deux visions semblent aujourd’hui coexister dans le milieu : d’un côté, les professionnels chevronnés qui doivent repenser leurs habitudes ; de l’autre, une nouvelle génération qui comprend plus intuitivement la nécessité – voire l’urgence – de produire des films autrement, de manière plus durable.
Cette conférence en est la preuve : les questions écologiques ne peuvent plus être mises de côté. Le cinéma de demain ne pourra se faire qu’en intégrant la durabilité comme une composante essentielle, dès sa conception.