« All the Beauty and the Bloodshed », du côté des vivants

All the Beauty and the Bloodshed
de Laura Poitras
Documentaire
Sorti le 19 avril 2023

Documentaire réalisé par Laura Poitras, à qui l’on doit également le multi primé Citizenfour, All the Beauty and the Bloodshed nous mène au cœur de la carrière de la photographe Nan Goldin, dont l’engagement artistique et politique ont toujours fonctionné en symbiose. Un film poignant, quoiqu’un peu sage, qui met la lumière sur le pouvoir disruptif de l’art.

« Survivre était un art ». En prononçant cette phrase au mitant du film, Nan Goldin se remémore ses premières années de vie à New-York, faites de petits boulots, d’amitiés enflammées, de drogue dure et de sexe. Il faut dire que la jeunesse de l’artiste américaine avant ça n’aura pas été de tout repos, étouffée par une famille puritaine en diable qui mena sa sœur ainée et lesbienne au suicide. Cette phrase, cœur secret du film, d’apparence anodine, relève donc autant de l’assertion que du palindrome : pour Nan Goldin, l’art est une question de survie.

Le film se construit autour de la forme assez classique d’entretiens détaillant chronologiquement le parcours de l’artiste, assortis de diaporamas d’archives assemblés par ses soins. Le parti pris de Laura Poitras d’absenter le visage de son sujet permet au spectateur de s’immerger pleinement dans le récit, uniquement guidé par la voix assurée de Nan Goldin. En parallèle, la cinéaste s’intéresse à l’engagement militant de la photographe new-yorkaise et de son association P.A.I.N (Prescription Addiction Intervention Now) avec laquelle elle lutte sans relâche contre la puissante famille Sackler, détentrice de l’empire pharmaceutique à l’origine de la crise des opioïdes qui ravage les Etats-Unis. Le film met ainsi en lumière l’intrication indémêlable de l’art et de la politique, au cœur du processus créatif de l’artiste qui, très jeune, s’empara de l’outil photographique pour documenter la vie des marginaux, la crise du sida et les violences conjugales. A ce titre, une très belle séquence d’action militante au musée Guggenheim montre à merveille que l’art est toujours une affaire de politique, et que toute action politique ne saurait pleinement s’actualiser sans geste artistique : répartis aux différents étages du bâtiment, les militants du groupe P.A.I.N répandent sur leurs camarades inanimés au rez-de-chaussée une pluie de prescriptions médicales coupables, dont le tourbillonnement plonge l’assemblée dans un état de pur ravissement esthétique.

En explorant ces deux facettes de Nan Goldin, la réalisatrice reconduit la démarche d’une artiste ayant toujours exploré les stigmates d’une société cadenassée par le prisme de l’intime. Le film remonte ainsi le fil fragile d’une vie révoltée, jusqu’au traumatisme originel de la disparition de sa sœur ainée. Drame terrible qui bouleversa la jeune fille qu’elle était, tout en lui donnant son atout le plus précieux : une empathie totale envers le genre humain, pour lequel elle continue de se battre sans répit.