De Sarah Devaux
Mise en scène Sarah Devaux et Mélissa Von Vépy
Avec Sarah Devaux et Marcel Vidal Castells
Du 4 juin au 6 juin 2025
Théâtre des Martyrs
Portée par une esthétique singulière entre cirque et théâtre, la pièce de Sarah Devaux traite de la suspension entre deux états, du courage d’être vulnérable, du risque existentiel et de la beauté du renoncement. Une réflexion philosophique et psychanalytique teintée d’humour et de poésie.
C’est la nuit. Dans l’obscurité, une jeune femme en maillot de bain apparaît en hauteur, debout sur le plongeoir. « Vous allez plonger ? », demande une voix d’homme. « C’est profond ? », répond-elle. « Ça dépend des endroits, ça dépend de vous ». Le ton est donné.
Quand la lumière se fait sur scène, on découvre le plongeoir qui domine une piscine qui semble abandonnée. L’homme qui pose les questions, au micro, est assis dans une sorte de cabine un peu plus loin. Ce doit être un concierge ou un moniteur de plongée (ou plonger) puisqu’il l’encourage, lui donne des instructions pour gérer sa respiration, la rassure aussi.
L’insomniaque en maillot de bain a grand besoin d’être rassurée et guidée tant elle semble mal à l’aise, hésitante. Dans la médecine chinoise, l’eau n’est-elle pas le symbole de la peur ? Il faut visualiser, se projeter, explique le maître-nageur, « plonger nécessite un geste entier. Audacieux. Sans demi-mesure. Pour un instant, on laisse son corps à la merci de. On s’abandonne, à la gravité, à l’air, à l’eau. Comme une déprise, on quitte la terre le temps du saut. »
Elle avance sur le plongeoir et fait quelques exercices préparatoires à la plongée dans l’inconnu. Accroupie au bout de la planche, elle se penche au-dessus du vide tout en s’accrochant du bout des doigts au plateau. Elle se laisse descendre, tête en avant, et se retrouve pendue par les mains au plongeoir. Avec une aisance qui efface complètement l’effort physique qu’impose un tel exercice, elle se déplace, comme en suspension, dans une gestuelle lente et harmonieuse. « Le seul moyen de toucher la grâce, dit-elle, c’est d’en être inconscient. »
Plonger s’inspire librement des thématiques développées par la philosophe Anne Dufourmantelle dans Éloge du risque. La pièce explore le risque, la peur, le courage d’être vulnérable, mais aussi la beauté du renoncement et l’audace d’oser l’inconnu. Le plongeoir incarne le « kairos », ce moment opportun où tout est suspendu, où la décision – sauter ou renoncer, affronter le vide ou rester en retrait – n’est pas seulement physique mais existentielle. La suspension, la chute, l’envol, le rapport à l’eau et à la verticalité sont autant de métaphores du rapport à soi, à l’autre, à l’incertitude et à la transformation.
Dans une écriture où les mots, les corps et les espaces se répondent, Sarah Devaux, circassienne et metteuse en scène, fusionne théâtre et cirque, brouillant volontairement les frontières entre les deux disciplines pour proposer un essai scénique à la fois aquatique, poétique et sensoriel. La piscine vide, cadre du spectacle, est à la fois un espace concret et un lieu mental, propice à l’introspection, à la répétition et à la transformation progressive. La nuit, dans laquelle se déroule la pièce, accentue cette plongée dans l’inconscient et le possible qui nous confronte à nos propres vertiges.
Oscillant entre humour, mélancolie et étrangeté, l’insomniaque en maillot de bain (Sarah Devaux) et son guide aquatique (Marcel Vidal Castells) errent dans cette piscine abandonnée qui devient par moment océan déchaîné ou abysses insondables, animant l’espace par leur dialogue et leurs gestes. Dans une scénographie simple et ingénieuse, l’esthétisme de la pièce est souligné par des mouvements savamment chorégraphiés et une maîtrise parfait des figures de cirque.