Visages Villages, charmants (auto)portraits

Visages Villages

d’Agnès Varda et JR

Documentaire

Sorti le 5 juillet 2017

Depuis plus de 60 ans, Agnès Varda nous enchante et nous passionne en étant, avant tout chose, elle-même. Que ce soit dans ses documentaires, où elle se met elle-même régulièrement en scène avec malice, ou dans ses fictions où elle fait de superbes portraits de femmes, elle a développé un cinéma simple, attachant et singulier. Elle impressionne également par sa longévité, puisqu’elle continue à tourner, malgré son grand âge. Mais que faire lorsque, après avoir passé sa vie à tirer le portrait des uns et des autres, on a la vue trop abîmée pour distinguer les traits des personnes qui se trouvent face à nous ?

Afficher de gigantesques images de quidams aux murs de villages nous répond son dernier film, Visages Villages.

À l’origine du projet, il y a JR, co-réalisateur du film. Photographe de profession, il a pour passion de transformer des villes et des villages de gigantesques galeries d’art. Il photographie quelqu’un, imprime une énorme reproduction de l’image de cette personne et avec son équipe, colle leur œuvre sur une façade d’un bâtiment qui leur plaît. Le projet parle à Varda, et ensemble ils décident de parcourir la France à bord d’un camion photographique, prenant au gré des rencontres des photos des gens divers  : ouvriers, femmes au foyer, agriculteurs, etc. Certaines images resteront indéfiniment accrochées au mur, dynamisant par exemple le morne paysage d’une usine. D’autres, comme celui d’un ami poète de Varda, affichée sur une plage, disparaîtront en moins d’une journée. La plupart des installations ne dureront pas, mais peu importe  : pour une journée ou quelques mois, ils apportent un peu de poésie et d’art par où ils passent. Un des plus grands plaisirs du film est de voir comment le projet touche et émeut une multitude de gens, ravis ou perplexes de voir leurs traits servir à ces singulières et gigantesques œuvres d’art.

L’autre grand plaisir du film est de voir ses deux auteurs, en apparence si différents, interagir l’un avec l’autre. Il a la trentaine et des yeux toujours caché derrière des lunettes qu’il refuse d’enlever, elle approche des 90 ans et ne voit plus vraiment, mais ils forment ensemble un duo formidable. Artistiquement, son savoir-faire photographique de JR est le parfait canevas pour l’imagination débridée de Varda. Humainement, la rencontre est tout aussi belle, si pas plus. Ils partagent un enthousiasme terriblement communicatif pour le projet, et leur complicité crève l’écran. Leur relation taquine, mais respectueuse est régulièrement mise en scène dans de petites séquences, dans lesquelles les deux comparses imaginent par exemple les multiples occasions où ils ne seraient pas rencontrés – des scènes factitces, mais cela fait partie de leur charme.

Le spectateur qui aura vu les précédents documentaires de Varda, tels que Les Plages d’Agnès ou Les Glaneurs et la Glaneuse, remarquera à quel point la personnalité et les goûts de la réalisatrice française sont présents dans Visages Villages. On y retrouve le même désir de faire émerger des gens délaissés par les médias et le même plaisir à faire rimer images et mots. La même tendance à se plonger dans le passé aussi. Elle évoque tour à tour son défunt mari, le cinéaste Jacques Demy, des peintres, des réalisateurs et des sculptures qui ont été ses amis. Jean-Luc Godard aussi. Ses souvenirs, poignants et passionnants, agrémentent leur film. Agnès Varda vieillit, et elle prend acte avec ce long-métrage de la douleur du temps qui passe.

Mais c’est aussi un film terriblement vivant, animé par la jeunesse d’une femme au crépuscule de son existence, et par la maturité artistique d’un homme qui s’y lance. Un superbe témoignage de vies vécues et de vies à vivre.

A propos Adrien Corbeel 46 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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