Savez-vous ce que votre grand-mère pense de l’amour ? La taksera continue… with Waya

« C’est intéressant de dire tout ce qu’il y a dans la tête, on en a plus dans une tête que dans un ordinateur, crois-moi » Aouicha, Hena de Wahiba

En darija marocain, taksera signifie passer un moment de partage avec une personne inspirante, c’est exactement ce qu’on a fait en retrouvant Wahiba, à notre tour une boisson chaude à la main pour parler de sa grand-mère.

Wahiba, ou Waya, travaille comme Social Media manager chez Tarmac, le média digital de la RTBF. Depuis plusieurs années, elle s’occupe de sujets tels que le hip-hop, la culture urbaine ou les nouvelles générations. C’est notamment son voyage aux Etats-Unis qui continue de l’inspirer. Attirée par le marketing ethnique et multiculturel, elle a traversé les continents et elle ne regrette rien. Aujourd’hui, on peut découvrir un peu de ce voyage sur sa chaine YouTube « Taksera with » où la première série de neuf épisodes est consacrée à sa Hena (grand-mère en berbère). Regrets, racisme, amitié… un répertoire qui nourrit toute curiosité, mais c’est dans l’épisode sur les voyages qu’on apprend que grand-mère et petite-fille ont partagé un peu de l’Amérique ensemble.

« Taksera with Hena » c’est un projet un peu fou et en même temps, pourquoi personne n’y a pensé plus tôt ? À l’heure actuelle, YouTube est la plateforme idéale pour se poser et écouter des gens parler de leurs vies. Si ces personnes sont inspirantes, l’ambiance touchante et les sujets instructifs, alors il n’y a aucune culpabilité à enchainer les vidéos, nous on attend déjà la suite…

À 80 ans, Aouicha n’a pas sa langue dans sa poche. Elle boit son thé confortablement assise face à Waya, entre les piques qu’elles se lancent tendrement ou les mouchoirs qu’elles sortent en synchro, Hena nous explique sa vision sur les règles du passé et la réalité actuelle, elle nous fait voyager à la Mecque, en l’Egypte, en Malaisie… Elle nous rappelle aussi qu’on a tous des vies différentes et que c’est tant mieux comme ça. Face à Waya, elle s’ouvre à la génération d’aujourd’hui, elle nous dit que « les gens qui ne veulent pas changer, c’est difficile pour eux ». On a tous à apprendre les uns des autres, peu importe la culture ou l’âge, Waya nous en offre la preuve dans le beau reportage que représente ce projet.


Est-ce que les réponses de ta Hena ont été une surprise pour vous ou connaissiez-vous déjà beaucoup de choses de sa vie avant ce projet ? Étant donné que vous habitez le même immeuble comme vous l’expliquez dans les vidéos et sur votre compte Instagram…

Ça a été une surprise, enfin pas tout à fait. Parce que j’ai du pointer des éléments du doigt pour l’interview. Par exemple, je ne savais pas qu’elle était partie aussi jeune du Maroc avec sa maman, ou que ça avait été aussi difficile avec mon grand-père. Cela vient de notre culture très pudique, on ne va certainement pas salir les gens qui ne sont plus là. Et grâce à l’épisode sur l’amitié, j’ai compris que ma grand-mère, qui est veuve depuis ses 39 ans, avait mis tout son amour dans ses amitiés… Cela m’a beaucoup ému.

Qu’est-ce que ce projet vous a apporté personnellement ?

Ce qu’on ne sait pas derrière ce projet, c’est que j’ai vécu un gros bouleversement. J’ai eu des problèmes de santé et comme je suis quelqu’un de très solide, il m’a fallu du temps pour comprendre. Faire cela m’a rempli le cœur. Ma grand-mère a 80 ans, je voulais lui faire la surprise, qu’elle voit sa tête sur un grand écran – en plus elle a des fans ! -. Ça a été la pire et la meilleure année de ma vie, les gens ne savaient pas ce que je vivais, mais je me suis reprise en mains très vite, le sport, le spirituel, la famille, les amis et au lieu de faire un projet quelque part dans le monde, j’ai fait un truc chez moi avec les miens et c’est la meilleure chose qui me soit arrivée.

Du coup, comment est né Taksera with ?

Le projet avait commencé en 2019, quand ma grand-mère a fait sa première crise cardiaque. Elle sort des punchlines de fou et je n’avais pas le temps d’enregistrer, je partageais déjà sur les réseaux et les gens me disaient que ça leur rappelait de prendre du temps avec leurs parents, leurs grands-parents… Le covid a mis un coup à tout cela, je suis dans le même immeuble qu’elle, c’est facile et les réactions des gens me motivaient. Puis, quand je parlais avec mon meilleur pote, qui connait Hena, il me disait « Tu sais que ta grand-mère a fait ça ? Et ça ? », elle racontait vraiment des trucs de ouf aux autres, ça m’a motivé deux fois plus. Finalement, on a laissé tomber car les nouvelles règles covid nous ont empêchées de tourner, je suis tombée malade et je me suis posée beaucoup de questions. Un jour, un ami m’appelle et on parle de ce projet, il me dit go, on le fait. C’est grâce à ce moment de soutien qu’en deux jours de tournage, c’était réalisé.

Est-ce que ça a ouvert beaucoup de débats autour de vous ? Est-ce que vous vous êtes rendue compte de ce que votre grand-mère évoquait à ceux qui ont regardé vos vidéos ?

J’ai ouvert la boite de Pandore ! J’ai eu des témoignages incroyables. Moi, ce qui m’a touchée le plus venant du public, c’est la réaction des familles méditerranéennes. Ça voulait dire que l’immigration industrielle avait touché plein de gens. Il y a aussi ceux qui nous suivent, qu’on a rencontrés et ceux qui nous adorent. Au début, j’avais l’impression d’avoir fait un projet communautaire, ce qui ne me plaisait pas mais quand j’ai vu les gens dans la salle de cinéma, ça m’a touchée parce que finalement, le message était totalement universel.

Dans l’épisode sur l’amour, on sent bien qu’il y une confrontation des générations, on dirait que vous aussi vous avez envie d’apprendre des choses à votre grand-mère.

Je voulais enfin prendre le temps de lui dire que ce n’est pas mal ce que je pense, parfois c’est hermétique mais tu sais ce qui est dingue ? Ma grand-mère ne s’est pas remise avec quelqu’un (NDLR : au décès de son mari), cela lui faisait peur et moi, je n’ai pas peur des hommes. L’épisode a été difficile pour moi, car je voulais vraiment prendre le temps et ne pas avoir une conversation que je peux esquiver si on s’énerve… Je crois encore au mariage, mais la génération d’aujourd’hui a créé plein de portes et les mecs ont aussi des craintes, c’est dans les deux sens. Il y également des choses qui n’ont pas été filmées, l’avant-première au cinéma pour l’épisode de l’amour où j’ai ramené un psy, les gens en redemandaient, ils voulaient encore ce genre de table de discussions. Tout le monde a parlé, c’était comme une énorme thérapie.

Conseilleriez-vous à tout le monde d’avoir ce genre d’échange avec leurs proches ?

Là tu touches à un point sensible, j’ai reçu des messages qui me demandaient comment j’avais pu oser interroger ma grand-mère, en disant que c’était un sujet pudique. D’office qu’il y a un coté pudique, il y a des choses qu’elle n’a pas dites, elle a donné une partie de sa vie, on a pleuré… Je comprends qu’il y a des gens qui n’osent pas mais il faut prendre le temps de discuter dans sa famille même si ça ressemble à une thérapie, on est dans une société individualiste où on a jamais le temps, mais il le faut.

Une anecdote, un souvenir ou un secret de tournage ?

Juste avant de tourner, Hena dormait sur sa chaise quand je me faisais encore maquiller, ça commençait bien… Sinon sur le tournage, on a ému les caméramans, ils avaient les larmes aux yeux, j’avais dit à ma grand-mère qu’elle pouvait parler en berbère, que je mettrai des sous-titres. Mais par respect pour eux, elle s’est forcée à parler en français. De les voir, ça me donnait un résultat rapide, sans montage. Je ne réalisais pas ce que j’étais en train de faire, le projet m’a dépassé, vraiment. Et puis à la base, la vraie anecdote, c’est qu’il n’a jamais été question que cela sorte, c’était des mémoires pour moi seule. Finalement, quand j’ai commencé à préparer le décor… (regard de fierté d’avoir mené ce projet jusqu’au bout).

Et la suite ?

J’ai décidé d’interviewer des personnes qui sont délibérément invisibilisées par les médias, ce sera axé sur le mode taksera, car je trouve que les interviews se font souvent froidement, sans affinités. Il y a des gens qu’on ne choisit pas parce qu’on ne les connait pas. Mais parfois, j’en connais et j’aimerais les amener dans un autre contexte. Je continuerai aussi à partager Hena sur les réseaux car il y a des moments importants, si je fais ma rétrospective de 2022, la vidéo où elle me dit « je t’aime » a 200 000 vues tout de même !