« Lettre à Nikola », prose épistolaire en mer libyenne

Lettre à Nikola
d’Hara Kaminara
Documentaire
Sorti le 8 juin 2022

Alternant sauvetage et vie sur un bateau, l’Aquarius est l’allégorie de l’espoir et de la crise migratoire. Naviguant au secours de ceux qui tentent une des traversées les plus dangereuses à bord, les histoires qui s’y tissent sont uniques. Mi-claustrophobique mi-protecteur, le ventre de l’ancien garde-côte renferme une multitude d’évènements et de portraits. Un bouillonnement dont éclot des situations aussi dramatiques qu’humanistes difficiles à représenter. La photographe documentaliste, Hara Kaminara, a pris part à plusieurs missions en tant qu’observatrice – elle souligne qu’elle n’aide pas les équipes de sauvetages physiquement – de 2016 à 2018 et choisit d’investir le récit sous la forme d’une lettre à son fils qui naîtra peu de temps après.

Le son et la photographie immortalisent des moments de grâce et de détresse sans jugement ni pathos. Son script vient se poser sur la prise de vue d’une manière sobre qui effleure les affects sans les imposer. La poésie imprègne son travail et permet de transgresser les règles formelles du documentaire pour en arriver à une esthétique similaire à celle de la nouvelle vague ou du cinéma expérimental. Le traitement du temps est plus onirique que concret, suivant le rythme lunaire des grandes étendues d’eaux libyennes.  Étayer la dimension du souvenir par l’image-mouvement arrime souvenir intime et évènement collectif dans une bulle visuelle et scripturale.

Sans tabou, la dangerosité de ces mers meurtrières et la mort sont évoquées, car inhérentes au voyage. La vidéo devient un levier poétique pour exprimer cet espace hors du temps ; elle ne vient pas combler les manques, les gouffres et les peurs, mais simplement livrer une vision artistique et personnelle où la barrière qu’instaure la caméra n’est pas ignorée. Le foisonnement de groupe, entre fatigue, chants et prières montre l’importance de l’énergie commune face aux décisions arbitraires des politiques. Un témoignage sensible et intimiste qui cerne une partie des problématiques actuelles migratoires sans les expliciter puisqu’elles sont par définition en mouvement constant. Le mouvement de la caméra, lui, nous installe dans un entretemps qui rejoint l’état de gestation de la réalisatrice.

Apolitique, le motif de la mer permet d’appuyer une atmosphère nébuleuse où récit intime et collectif se croisent pour arriver à s’unir en méditerranée. Par associations d’idées elle fait également référence à la maternité ce qui crée un lien direct avec la période que la jeune réalisatrice est en train de vivre. Relayant des questionnements propres à notre époque : quel monde va-t-on laisser à nos enfants ?