Les passagers, au Public jusqu’au 22 octobre

De Frédéric Krivine, mise en scène de Laurent Capelluto, avec Axelle Maricq et Benoît Verhaert. Du 9 septembre au 22 octobre 2022 au Théâtre Le Public.
Nous avions manqué la pièce Les Passagers au festival d’Avignon, nous nous sommes dépêchés de la découvrir au Public. Et quel plaisir de se retrouver dans la Petite Salle. Surtout pour ce genre d’œuvre. Les spectateurs sont directement plongés au cœur de l’intrigue. Nous sommes juste à côté d’une femme (Axelle Maricq) qui patiente sur un banc du commissariat. Elle a été convoquée. Pour quel motif ? Aucune idée encore. Un policier (Benoît Verhaert) met à jour ses dossiers sur une affaire importante, dramatique. Elle sera peut-être l’élément clé qui permettra de résoudre, de comprendre ce qui s’est passé dans le bus numéro 11 qui a explosé lors d’un attentat à Jérusalem. La palestinienne interprétée par Axelle Maricq était dans ce bus. Seulement, pourquoi est-elle descendue à l’arrêt juste avant le drame ?

Voici la confrontation entre un flic juif et une marchande de poisson palestinienne d’origine jordanienne. Tout les oppose. Seulement, c’est lui qui mène la barque de l’interrogatoire, il manipule, il décortique, il piège. Et cette discussion de confiance et de trahison mutuelles grimpe les marches de la réflexion. Il ne s’agit plus simplement d’une vendeuse qui a pris son bus habituel pour aller travailler. Il est question de morts, de sacrifice, de souffrances. Deux peuples s’affrontent autour de cette table d’interrogatoire. Le passé de chacun, de l’Histoire, du quotidien d’un pays divisé. Le public suit avec attention ce combat d’opinions et de ressentis. Il ne veut en perdre aucune miette, tant le texte est riche, précis et subtil.

« Vous nous empêchez de pleurer nos morts mais en plus vous nous forcez à pleurer les vôtres. »

Axelle Maricq présente admirablement bien cette femme forte qui semble affronter plus qu’un simple flic juif, mais bien toute la communauté, tout le malheur des autres en mettant le sien de côté. Ses émotions sont belles, sont justes. Et on se place très rapidement derrière elle, à suivre le stress d’une pluie de questions. Que lui veut-on ? Qu’aurait-elle fait de mal ? Dans un monde où tout peut lui être reproché de par ses origines, mais on ne s’y habitue pas forcément.

Benoît Verhaert pose le ton. Il va jongler entre le bon et le mauvais flic et approcher toutes les parcelles de son enquête avec une personnalité forte. C’est un réel plaisir de voir conter cette histoire par ce personnage. Si, au début, on se met du côté de la vendeuse, très rapidement, on prend également confiance envers l’inspecteur. Ce n’est pas une simple confrontation où l’on aurait déjà choisi notre héros. Les deux protagonistes nous emportent avec eux et on aurait envie de leur donner raison à chacun.

Une très belle mise en scène, sobre, où le temps est jaugé par la lumière et la musique. Notre esprit se met rapidement à l’aise avec l’univers présenté. On imagine directement ce qu’il y a de l’autre côté du bureau, ce qu’il y a l’extérieur du commissariat, on aperçoit toute la ville.

On ne peut s’empêcher d’imaginer toutes les fins possibles. Ce ne peut être qu’un simple interrogatoire, sans fin, sans issue. On découvre autant la dureté de leur vie, que la tendresse de chacun. On ne veut pas de perdants à cette affaire, on aimerait tant une conclusion plus heureuse. Seulement, cette pièce est le reflet d’une vérité et dans la réalité, le drame est toujours plus profond que la fiction.

On sort de cette pièce le cœur retourné et le cerveau qui palpite de réflexions dans tous les sens. À voir absolument !

A propos Christophe Mitrugno 62 Articles
Journaliste du Suricate Magazine