
Les Enfants rouges
Réalisateur : Lotfi Achour
Genre : Drame
Acteurs et actrices : Ali Helali, Yassine Samouni, Wided Dadebi
Nationalité : Tunisie, France, Belgique, Pologne, Arabie Saoudite, Qatar
Date de sortie : 21 mai 2025
Ils étaient jeunes et voulaient simplement arpenter la montagne, avec leurs chèvres. L’histoire de Nizar et d’Achraf, deux bergers victimes du djihadisme dans les hauteurs isolées de la Tunisie, a récolté une pluie de récompenses et distinctions depuis sa première projection. Pourtant, cet acte terroriste survenu en 2015, dont s’inspire le film, est jusqu’ici resté dans l’ombre, sans jamais intéresser ni même émouvoir le reste du monde.
Itinéraire d’une enfance brisée
Alors qu’ils font paître leur troupeau dans la montagne, deux adolescents sont attaqués par des jihadistes. Nizar, 16 ans, est tué, tandis qu’Achraf, 14 ans, doit rapporter un message macabre à sa famille.
Réalisé par Lotfi Achour, adepte du genre documentaire et reconnu pour sa profondeur politique, Les Enfants rouges nous fait revivre la douleur et la violence de l’injustice, avec la voix et les yeux d’un enfant. Rouges, comme la couleur du sang, du danger, de l’amour ou bien encore de la charité. Comme au 16ème siècle, au coeur de Paris, où Marguerite de Valois, sœur de François 1er, avait fondé un orphelinat dans lequel les « enfants de Dieu », vêtus de rouge, étaient rebaptisés les « enfants rouges » par les parisiens. Dans le film, les cousins sont tout autant aimés par leurs parents que livrés à eux-mêmes et à leur destin.
Face à l’innommable, au deuil et à l’immense culpabilité, le plus petit d’entre eux, Achraf, se tient debout. On observe avec lui, sans bruit, parfois via des plans subjectifs, les différentes scènes qui signent la fin de son innocence. Ses réminiscences et ses cauchemars nous plongent dans la pensée d’un enfant rongé par la crainte, la tristesse et la colère.
Dans un contraste saisissant entre brutalité sanglante et douceur candide, le film développe ainsi un rythme lent, en harmonie avec la lenteur d’une escapade dans les montagnes, sous un soleil ardent. La fraternité des personnages, tout comme le lien particulier entretenu avec la nature, seront salvateurs pour cet enfant marqué à vie par le traumatisme.
Une nature complice, dans le rôle principal
Le film, récompensé pour sa photographie au FIFF de Namur en 2024— en plus de son Bayard d’or du meilleur film— nous présente des paysages à couper le souffle, marqué par le silence et la chaleur pesante du désert. La symbiose des acteurs avec cette nature est permanente. La faune et la flore locales ont chacune un rôle décisif ; la montagne et ses cascades représentent la soif de liberté mais aussi la mort, là où se terrent les jihadistes. Les chèvres deviennent des soutiens et les chiens des sauveurs. L’orage gronde quand l’enfant pleure.
En pleine promenade dans le village, Rahma et Achraf, en deuil, récitent à voix haute des leçons de sciences naturelles, comme des invocations. Ils font partie intégrante de cette terre, de ces montagnes, de ces ressources mais en sont dans le même temps victimes et chassés. « Je déteste cette montagne » finira par lancer Achraf, alors qu’elle n’est finalement encore plus innocente que lui dans ce malheur.
On soulignera la performance magistrale de ces jeunes acteurs, qui jouent pour la plupart leur premier rôle au cinéma comme Wided Dabebi et Ali Helali. Des débuts prometteurs qui renforcent d’autant plus l’authenticité et la sensibilité poignante du film.
Dixième film tunisien à remporter le Tanit d’Or des Journées Cinématographiques de Carthage 2024, depuis leur création en 1966, Les Enfants rouges délivre un message essentiel sur la résilience de l’enfant et son rapport avec l’environnement, tout en mettant en lumière un attentat qui aurait mérité davantage de révolte et de solidarité.