Le rapport de Brodeck par Larcenet

L'Autre

scénario & dessin : Manu Larcenet
éditions : Dargaud
sortie : avril 2015
genre : roman graphique

« Si cette confession ressemble finalement à un monstre, complexe et mystérieux, c’est qu’elle est à l’image de ma vie. »

Brodeck n’avait rien demandé, mais il a eu la malchance de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Les villageois ont tué l’Autre, l’étranger, et c’est à Brodeck qu’incombe la pénible tâche de raconter les événements. « Tu seras le scribe, Brodeck ».

Sous le regard sombre des villageois et la menace de leurs couteaux, Brodeck cède : il accepte. Pourtant, il prend simultanément une décision lourde de conséquences. Plutôt que de se contenter de rédiger le rapport tel qu’on l’attend de lui, Brodeck consignera dans sa confession toute la vérité, que cela plaise ou non… Il sait que cela ne plaira pas.

Qui diable était « L’Autre » ? Qu’était-il donc venu faire si loin de chez lui, dans ces contrées mornes et inhospitalières ? Lui qui était si différent, peut-être ignorait-il qu’au village, l’on n’apprécie ni les intrus ni les fouineurs ? Quant à Brodeck, pour mener sa tâche à bien, il va devoir remuer le passé, mettre son nez dans des affaires qui ne le concernent pas. Il se sent surveillé par ses proches, de sorte que sa vie, comme si elle n’avait pas encore été suffisamment douloureuse, s’enfonce chaque jour davantage dans la peur et la solitude.

Le récit s’enracine dans le passé du village, faisant remonter l’histoire jusqu’à la petite enfance du personnage, et les souvenirs évoqués ravivent de nombreuses cicatrices laissées par l’existence. Des traumatismes d’enfance, des traumatismes de guerre. Les villages brûlés et les déportations dans les camps de concentration ont ponctué l’existence de la région, de sorte que jamais ses habitants n’oublieront que la misère constitue leur pain quotidien. Le récit se situe également dans le présent du village, au lendemain de la seconde guerre mondiale, laissant entrevoir l’existence des habitants ; marquée par le froid, figée dans un climat de peur et de suspicion.

On retrouve dans cette oeuvre magistrale toute la noirceur du style graphique dont Manu Larcenet avait fait déjà preuve dans la série Blast. Son art, si abouti, semble même encore atteindre de nouveaux sommets. Il alterne les silences et joue sur les ambiances comme nul autre. Les dessins sombres, inconfortables, malmènent le lecteur sans relâche. Ses traits rivalisent si bien avec le texte qu’ils semblent exprimer avec davantage d’éloquence que les mots les mieux choisis le malêtre de Brodeck, seul innocent parmi les coupables.

Larcenet avait déjà prouvé son talent par le passé à maintes reprises, et il va sans dire que ce nouveau chef-d’oeuvre ne viendra pas ternir sa réputation, au contraire. Et une fois n’est pas coutume, il s’agit ici d’une adaptation très fidèle du roman de Philippe Claudel intitulé lui aussi Le rapport de Brodeck, paru en 2007. Le romancier a d’ailleurs tenu à saluer la force, la beauté et la poésie que manu Larcenet a su extraire de son texte. En voilà un qui doit être aussi impatient que nous de découvrir la suite !

A propos Ivan Sculier 67 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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