Le festival : symbole de surenchère culturelle et de régionalisme

La question n’est pas nouvelle. À vrai dire, elle trône chaque année en première page des magazines culturels : « Y a-t-il trop de festivals ? ».

Cette interrogation revient de manière redondante car chaque année, le paysage culturel francophone offre une multitude d’activités festivalières, en particulier lors de la période estivale. Pourtant, si les canards se posent légitimement la question de savoir quelle en est la réelle utilité et la viabilité potentielle, peu d’entre eux y trouvent une réponse. C’est bien normal puisqu’avant de parler de surabondance et de disparition, il faut d’abord en comprendre la genèse et les enjeux.

Lors d’un rendez-vous professionnel dans les milieux du théâtre, du cinéma, de la littérature ou de la musique, il y aura toujours deux adages dans la bouche des interlocuteurs auxquels vous n’échapperez pas : « Beaucoup d’appelés, peu d’élus ! » et « la culture ne paie pas ! ». Aussi réductrices sont-elles, ces affirmations sont pourtant exactes. De fait, nombreux sont celles et ceux à vouloir vivre de leur art/de leur passion/de leur formation qui finissent par gagner leur vie dans un domaine bien éloigné de celui dont ils ont tant rêvé. De plus, il est vrai que les finances sont souvent au plus mal et chaque euro prend vite l’aspect d’un louis d’or découvert au fond d’un puits. La question est donc relancée : y a-t-il trop d’offre par rapport à la demande ? Certainement.

Disons-le d’emblée, l’éclectisme culturel et l’offre variée que nous connaissons dans les pays développés sont utiles et indispensables. Sans cela, l’échantillon culturel se réduirait rapidement aux productions populaires et lucratives en éludant à jamais l’expérience, la découverte ou l’étonnement.

Mais c’est aussi au nom de la diversité culturelle et de l’éclectisme que de (trop) nombreux rendez-vous sont créés. Seulement voilà, chacun a ses goûts, ses préférences et… son petit coin à champignons. C’est particulièrement le cas des festivals musicaux et cinématographiques.

Prenons le premier cité. Dans le monde du festival musical, la Belgique a un rôle prépondérant. Et pour cause, un grand nombre de gros et de petits festivals se partagent le plat pays comme un gâteau. Chacun doit avoir sa part, quitte à programmer les mêmes groupes mais dans un cadre différent. Ce phénomène amène à la surenchère : on programme un maximum de groupes sur un maximum de scènes en un maximum de temps. Par exemple, le Festival Rock Werchter a proposé cette année 20 groupes par journée répartis sur trois scènes (sur une durée de quatre jours), alors qu’on en comptait 14 sur deux scènes en 2010, le même nombre en 2001 mais sur trois jours seulement et enfin, 12 par journée en 1997 dans un festival qui durait deux jours.

Ne nous leurrons pas, la plupart des festivaliers s’en lèchent les babines. Pourtant, en opérant de cette façon, les gros festivals phagocytent encore un peu plus le marché et obligent leurs concurrents mais aussi les plus petits à surenchérir. Comment ? En attirant des noms ronflants aux cachets mirobolants comme celui de Bruce Springsteen au festival des Vieilles Charrues en 2009 qui s’élevait à un million d’euros (voir les cachets des stars sur Priceonomics). En conséquence, les prix des billets flambent, les poches des jeunes festivaliers se trouent, celles des stars débordent et les petites Asbl gérant des petits festivals de province se ramassent.

La solution pragmatique – pour peu qu’on élude le côté convivial et familial d’un festival – serait dès lors de supprimer les petits festivals et ne garder que les principaux. C’est là qu’intervient la politique. Hormis le souhait louable d’un organisateur de voir éclore son propre festival dans sa contrée natale, il y a également l’envie des élus de faire bonne figure sur le plan culturel. Le festival est dès lors le meilleur moyen pour eux de mettre en avant leur commune/leur région, car l’aura d’un évènement de la sorte dépasse souvent les frontières de sa propre circonscription. En outre, c’est le moyen le plus efficace pour avoir une retombée économique, bien plus que d’investir dans un théâtre, une bibliothèque ou une statue de Christophe Maé (quoique…). Ces rendez-vous culturels deviennent alors des enjeux politiques régionaux, d’autant que la part des subventions publiques dans le budget d’un festival oscille généralement entre 10 et 20%. Ajoutez évidemment à cela les différences culturelles existantes au sein de pays comme la Belgique ou la Suisse et vous obtenez une raison de plus pour arriver à la conclusion : oui, il y a trop de festivals, mais ça arrange tout le monde.

A propos Matthieu Matthys 919 Articles
Directeur de publication - responsable cinéma et littérature du Suricate Magazine.

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