Killoffer, en chair et en fer : Un manifeste philosophico-comique

Scénario :  Killoffer
Dessin : Killoffer
Éditeur : Casterman
Sortie : 26 janvier 2022
Genre : Humour, Science-fiction, vie quotidienne

Si on vous dit : « En matière de BD, Killoffer a de la bouteille », c’est à prendre au propre comme au figuré. Ici, ce que nous propose le dessinateur et scénariste qui voit ses premières œuvres publiées dans les années 80, c’est de se mettre en scène dans la peau d’un barbu naïvement grotesque et ayant l’ivresse facile. Alors bien sûr, pourquoi s’en priver ?

Un humour noir, un trait simple mais expressif

L’humour est noir, comme le dessin. Entre Franquin et Marc-Antoine Mathieu, Killoffer travaille son trait simple mais expressif. En quelques esquisses, il définit son personnage si parfaitement qu’on le reconnaît directement, ce cliché du bédéiste négligé et misanthrope qui souvent lève le coude mais trinque toujours seul. Les mimiques sont si justes que quand il arbore son regard de chien battu, on ne peut s’empêcher d’éprouver de l’empathie pour ce personnage qu’on croit presque déjà connaître. Le contraste fort marqué entre les blancs étincelants comme creusés dans la pénombre, rappelle la lino-gravure, en plus précis.

Un questionnement philosophique

Si Killoffer a si bien su se faire un nom dans le milieu de la bande dessinée, c’est parce qu’il sait relever les défis qu’on lui propose. Après s’être imposé des contraintes formelles avec l’OuBaPo (Ouvroir des Bandes dessinées Potentielles), ou encore s’être lancé dans l’édition avec l’Association, il accepte d’illustrer une œuvre philosophique. Quand il reçoit Machines Insurrectionnelles, le manuscrit de Dominique Lestel – dont Killoffer dira qu’il est sérieux mais pas barbant – le bédéiste déchante. Comment faire pour traiter en image d’un sujet aussi difficile que celui de la fonction du robot, d’autant qu’ici il est carrément question d’un rapprochement entre la machine et l’animal de compagnie ? C’est une conception métabolique du vivant, qui replace l’être humain au milieu de ses fétiches que propose le philosophe normalien. À l’ère de la vulgarisation et de la prédominance de l’image dans l’espace, la bande dessinée est une forme moderne qui s’adapte parfaitement au caractère futuriste du contenu. Mais, peut-être sciemment, Killoffer semble rester en dehors de l’aspect didactique, privilégiant le caractère divertissant et humoristique au détriment du philosophique. Et finalement il faut attendre l’épilogue de Lestel, qui de prime abord paraît un peu sorti de nulle part, pour comprendre ce qui se cache entre les lignes.

Si Killoffer en chair et en fer est surtout philosophique dans son souhait de l’être, il n’en reste pas moins pédagogique. Mais le vrai enseignement que l’on en tire est avant tout dans ce qu’il nous apprend sur la bande dessinée. S’astreignant à certaines règles, comme celle qui régit le format de ses cases toujours identiques ou encore la volonté de réaliser un album entièrement silencieux, Killofer propose une bande dessinée bien différente de celles qu’on a l’habitude de lire, soignant ses transitions à la manière de 3’’ et misant sur ses connaissances en matière de tabulaire.