
Julian
Réalisatrice : Cato Kusters
Genre : Drame
Acteurs et actrices : Nina Meurisse, Laurence Roothooft
Nationalité : Belgique, Pays-Bas
Date de sortie : 29 octobre 2025
Oui, on a rarement vu un titre d’article aussi ambitieux depuis le J’ai vu juste de Jean-Marie Le Pen, mais ne vous inquiétez pas, malgré les apparences, on n’est pas là pour répondre à une telle question. Donc, ça sert à quoi un film ? On peut dégager quatre grands axes : faire ressentir des émotions (l’évasion, la beauté, le rire, la tristesse,…), raconter une histoire prenante (qu’elle soit efficace ou originale), passer un message (politique ou social), expérimenter le langage propre au médium (nouvelle technique de prise de vue, narration déconstruite, mise en scène innovante,…). Évidemment, un long-métrage ne court pas qu’un seul de ces objectifs à la fois, de la même manière qu’un film réussissant à jouer sur tous ces tableaux n’est pas forcément parfait. Et, de toute manière, chacun.e sera plus ou moins sensible à telle ou telle ambition. Bref, tout ça pour quoi ?
Tout ça pour parler de Julian, premier long-métrage de Cato Kusters. En quelques mots, Fleur et Julian s’aiment et se lancent dans le projet fou de se marier dans tous les pays qui autorisent leur union, mais leur dessein s’écroule lorsque Julian tombe gravement malade. Reprenons notre précédente grille de lecture. Est-ce que le film nous fait ressentir des choses ? Plutôt oui. Plutôt oui, car les émotions et les sensations sont très subjectives. Plutôt oui, car voir quelqu’un gravement malade c’est triste et que voir sa compagne pleurer c’est pas rigolo. Le film joue énormément sur la nostalgie, pas forcément subtilement, peut-être de manière trop monotone, mais si l’on se montre sensible à cette histoire alors oui, le long-métrage fait ressentir des choses.
Est-ce que le film est narrativement intéressant ? Là, c’est un peu plus compliqué de le sauver. Car absolument tout se trouve dans cette phrase : Fleur et Julian s’aiment et veulent se marier partout où c’est possible, mais Julian tombe malade. Que le long-métrage ne réponde pas à un schéma narratif classique, c’est une chose. Pas mal de films adaptés de livres adoptent le rythme de celui-ci, une narration latente, beaucoup plus diffuse, qui tend vers la chronique. C’est le cas de Furyo, de La Ligne rouge. Mais ces films vont plus loin que leur simple pitch. Ici, on est pleinement sur un récit de vie. Et on peut facilement le comprendre. En effet, le livre dont est tiré Julian est la véritable histoire de son autrice Fleur Pierets. On se doute ainsi que le récit littéraire se focalise sur les émotions, sur le quotidien de cette femme censée faire le tour du monde pour se marier et se retrouvant au chevet de son épouse. Sauf que les médias cinématographique et littéraire sont différents et on ne peut pas raconter quelque chose dans un bouquin comme on le fait dans un film.
Continuons, le long-métrage cherche-t-il à expérimenter ? Plutôt non. Certes, la narration est déconstruite, un des principaux éléments faisant naître ce sentiment de nostalgie d’ailleurs, mais globalement non. C’est un film de personnages, qui s’attarde sur le « quoi montrer » plutôt que sur le « comment montrer ».
Enfin, est-ce que le long-métrage apporte un message ? Alors là, c’est un grand oui. Parce que montrer l’homosexualité et la difficulté sociale qu’elle génère relève souvent du poncif. Julian aborde cette question de manière originale, non pas à l’échelle locale, mais globale, avec ce nombre : 22. À l’époque où Fleur Pieters vit cette histoire, seulement 22 des 196 pays reconnus par l’ONU permettent aux couples de même sexe de s’unir légalement, soit tout juste supérieur à un pays sur dix. Et plus on répète ce nombre, 22, plus on se sent chanceux.se de vivre dans un de ces pays, plus on se dit que 1/10 c’est vraiment pas beaucoup, qu’à peine 10% c’est vraiment la honte. Aujourd’hui l’ONU reconnait 197 pays, parmi lesquels, non plus 22, mais, 39 autorisent le mariage gay. C’est toujours pas assez, mais c’est deux pays sur dix, soit deux fois plus que lorsque Julian tombe malade.
Ne serait-ce que pour ce dernier point, Julian est un film nécessaire. On peut regretter que le long-métrage ne s’attarde pas plus profondément sur les questions de couple, de maladie ou de deuil. On peut regretter qu’on ne nous en raconte pas plus, donnant au film un aspect monotone, répétitif et attendu. Mais on ne peut pas regretter que ce qui prédomine à la fin de la séance ce soit : 22 (et même 39 aujourd’hui) c’est pas assez, c’est pas normal, le combat est loin d’être fini, faut rien lâcher.
