
High and Low
Réalisateur : Akira Kurosawa
Genre : Thriller
Acteurs et actrices : Toshirô Mifune, Tatsuya Nakadai, Kyôko Kagawa
Nationalité : Japon
Date de sortie : 25 juin 2025
High and Low (Ciel et Enfer), sorti en 1963 et tourné dans les studios Tōhō à Yokohama, est l’un des films policiers les plus connus du cinéaste japonais Akira Kurosawa. Fiction divertissante et tragique, portrait de misère et de noblesse humaines aux qualités esthétiques percutantes, l’œuvre de l’artiste continue de résonner quelques décennies plus tard.
Gondo, riche entrepreneur japonais, se retrouve face à un dilemme moral : sauver sa fortune ou sauver l’enfant de son chauffeur, kidnappé par erreur à la place de son fils, et payer une rançon ruineuse.
Tiraillé, hésitant, Gondo accepte finalement de régler la somme. Il est alors célébré en héros par l’opinion publique et les journaux (en grande partie influencés par les forces de l’ordre) qui honorent son intégrité morale. Commence alors une enquête policière pour attraper le ravisseur Takeushi, puis s’ensuit son emprisonnement et sa condamnation à mort. La scène finale s’achève sur un dialogue impossible entre Gondo, impassible mais triste, et Takeushi derrière les barreaux, violemment agité par la haine et le désespoir de sa condition.
Ce qui au début apparaît comme une histoire d’ordre privé – l’enlèvement d’un enfant et la douleur de la famille – se révèle rapidement être une affaire publique dans laquelle s’opposent deux mondes adjacents mais antithétiques : celui de Gondo, représenté par sa villa aérée et luxueuse, perchée sur un sommet; et au pied de ce sommet, le monde de Takeushi, un ghetto sombre et étouffant de chaleur et de promiscuité, ravagé par la drogue.
L’oeuvre de Kurasawa, une adaptation libre du roman policier Rançon sur un thème mineur de l’écrivain américain Ed McBain, transcende le genre policier pour dépeindre un tableau social empathique et nuancé du Japon des années de miracles économiques. Cette période d’après-guerre, marquée par un redressement économique et industriel fulgurant grâce à l’aide états-unienne, voit émerger un prolétariat lourdement victime de cette industrialisation, qui s’accompagne également d’une occidentalisation des moeurs.
Divisé en deux actes, High and Low incarne bien cette réalité aliénante d’une société fragmentée. Wipe-cut. Transitions abruptes. Ciel et Enfer tourné en pellicule noir et blanc. Kurosawa étire la métaphore du paysage divisé; ce choix formel dicte et prédit, fatalement, la trajectoire des personnages.
Tout le long du film, on suit ainsi des personnages ambigus néanmoins confinés à leurs rôles archétypaux : celui du héros humaniste, dont le pouvoir se limite, au fond, à une fonction d’ordre symbolique; celui du criminel traqué qui refuse tout pardon; et le rôle de la police qui s’assure de préserver l’ordre social – et par extension qui exacerbe, pourrait-on dire, la stratification des rôles… .
De la même manière, le jeu de la caméra et la mise en scène rigoureuse, empruntant aux codes scéniques du théâtre, composent un tableau symbolique saisissant.
Les close-up sont nombreux et les vues d’ensemble rares. Chez Takeushi, le plan rapproché emprisonne, chez Gondo, il rend tangible le tiraillement moral. Quant aux prises de vue plus larges, elles sont généralement courtes, ou alors encombrées de personnages, confinées par les murs, ou encore cadrées par les vitres des véhicules… permettant difficilement au spectateur, et encore moins aux protagonistes, d’accéder à la vision globale du drame.
Si le mal-être et la confusion sociale sont au centre de l’oeuvre, Kurosawa y pose un regard détaché en y insérant des touches d’humour détourné. Et ce notamment à travers l’utilisation de contrepoints son-image : on entend, par exemple, la mélodie légère “die Forelle” de Franz Schubert accompagnant le paysage sombre des ghettos pauvres, et on rigole un peu. “O Sole Mio” en version Big Band contemporain vient également alléger ce drame, dont la bande son est par ailleurs très minimaliste, rythmée de motifs graves, de bruitages et de silences immobiles.
Derrière les barreaux, les volets tombent tel un couperet. Takeushi est emmené à sa mort, Gondo reste assis, son reflet renvoyé sur la vitre sombre.
C’est le cœur confus et triste que l’on sort de la salle après une projection de High and Low. Certes, l’enfant est sauvé, mais la misère humaine demeure : la réconciliation entre riches et pauvres semble impossible…
Bien que fiction, cette histoire, que nous regardons aussi comme une archive de l’époque, raconte une vérité sociale qui est encore la réalité d’aujourd’hui. Kurosawa est pessimiste lorsqu’il tourne ce film dans les années 60, et en 2025, ce sentiment d’impuissance et d’immobilité est toujours aussi oppressant. Mais l’œuvre nous apprend également à regarder avec empathie et perspective holistique une société tourmentée, complexe, faite de contradictions. Avec cet enseignement, essayons encore d’imaginer – il en est de notre devoir !, d’autres fins possibles.