Dragged Across Concrete, dur et imprévisible

Dragged Across Concrete
de S. Craig Zahler
Action, Policier, Drame
Avec Mel Gibson, Jennifer Carpenter, Vince Vaughn
Sorti le 12 juin 2019

À mi-chemin entre film policier, film de braquage et analyse sociétale, le réalisateur S. Craig Zahler nous livre un troisième film explorant un peu plus son univers entamé avec Bone Tomahawk (2015) et Section 99 (2017).

Brett Ridgeman (Mel Gibson) et Anthony Lurasetti (Vince Vaughn) sont deux policiers aux méthodes expéditives qui seront suspendus par leur hiérarchie suite à une intervention musclée. Acculés financièrement, ils décident de réaliser un braquage sans se douter qu’une autre équipe est également sur le coup.

Dragged Across Concrete choisit d’établir son propos sur base d’un montage alterné dans lequel le spectateur suivra tour à tour Ridgeman et Lurasetti, policiers pointés du doigt par les médias ; Henry Johns (Tory Kittles) et Biscuit (Michael Jai White), deux cousins cherchant à faire fortune ; Friedrich (Udo Kier), un tueur impitoyable ; Melanie (Laurie Holden), l’épouse handicapée de Ridgeman et Kelly Summer (Jennifer Carpenter), jeune femme souffrant de dépression post-partum.

Si tous n’ont pas droit à la même présence à l’écran, chacun de ces personnages permettra de nourrir l’intrigue, voire de la retourner à son avantage. Ainsi, Dragged Across Concrete se veut par moments imprévisible tout en donnant lieu à des scènes d’une violence crue, inattendue et loin d’être esthétisée comme c’est par exemple le cas chez Quentin Tarantino.

Sur cela vient se greffer un rejet de la bien-pensance et une identité volontairement rétrograde présente dans certaines répliques du genre : « Être étiqueté de raciste à l’heure actuelle et publiquement, c’est comme être accusé de communisme dans les années 50 » ou encore : « – [Ridgeman] C’est un homme ou une fille qui chante ? – [Lurasetti] Aucune idée – [Ridgeman] De toute façon, y a plus une grande différence aujourd’hui ».

Si au premier abord, on pourra s’interroger sur l’intérêt de tels commentaires, ils soulignent avant tout le caractère des protagonistes et permettent in fine de marquer les similitudes existant contre toute attente entre ceux-ci. Ainsi, Brett Ridgeman est un homme mû par la volonté d’aider sa famille, tout comme Henry Johns est désireux de sortir sa mère et son jeune frère de la misère. Au-delà de leur différence sociale, professionnelle ou épidermique, Ridgeman et Johns sont similaires et seule la tournure des évènements permettra de les différencier. Les disparités s’effacent ici au nom d’une nécessité supérieure.

De même, à l’exception de Friedrich, les braqueurs de banque faisant concurrence à Ridgeman et Lurasetti apparaîtront constamment masqués, capables de tuer de sang-froid toute personne cherchant à s’opposer à eux. Engagés comme chauffeurs, Henry Johns et Biscuit seront les seuls membres à participer au casse à visage découvert, comme une façon de souligner leur humanité et, une fois encore, de déplacer la mince frontière qui sépare ici la victime de l’agresseur.

La richesse de Dragged Across Concrete transparaît donc dans sa capacité à surprendre et à renverser constamment l’axe dominant-dominé tout en livrant des personnages typés et complexes. Si le film souffre également de plusieurs incohérences et pourrait être raccourci d’une quarantaine de minutes – il dure 2h39 –, S. Craig Zahler parvient néanmoins à rester fidèle à son univers en terme de qualité tout en recourant à des thématiques déjà présentes dans ses deux précédentes réalisations.