« Sauter des gratte-ciel », quand nos bonnes intentions se transforment en prison

Titre : Sauter des gratte-ciel
Autrice : Julia von Lucadou
Editions : Actes Sud
Date de parution : 5 mai 2021
Genre : Roman, dystopie

Premier roman de Julia Von Lucadou, récompensé par le Prix suisse de littérature en 2019, Sauter des gratte-ciel est le récit glaçant d’un futur possible, celui où les citoyens, par paresse intellectuelle, peur du désordre, narcissisme ou nécessité, se seront abandonnés au pouvoir bienveillant du contrôle total et de la surveillance généralisée.

Dans un futur proche, dans une mégalopole hyper connectée, règne le culte de la transparence : tout est filmé, liké, évalué, commenté en direct, tandis que la société prône l’optimisation du corps et de l’esprit. Des jeunes gens qui sautent en Flysuit du haut des gratte-ciels, se rattrapant à la dernière seconde avant de toucher le sol, sont adulés et jouissent des privilèges réservés aux plus performants (et aux plus obéissants). Riva Karnovsky est l’une d’entre eux. Or, inexplicablement, elle décide d’arrêter de sauter. Une jeune psychologue est alors chargée de la remettre dans le droit chemin.

A travers la mission d’Hitomi, jeune psychologue de la société PsySolutions, on entrevoit dès lors où le désir de transparence, mais également le culte de la performance et la tendance à ne considérer nos vies qu’à travers le prisme des données, peut nous mener. Plutôt que s’attaquer frontalement aux vices de notre société, l’autrice, en décrivant de manière méthodique le quotidien des habitants de ce monde dystopique et aseptisé, pousse à réfléchir à notre manière de vivre et d’envisager les relations avec nos semblables. Car si certains répliqueront qu’il ne s’agit que d’un roman de science-fiction, les similitudes avec notre monde actuel sont trop troublantes pour ne pas s’y intéresser.

Œuvre subtile au rythme fluide, Sauter des gratte-ciel ne laissera aucun lecteur indifférent tant elle évoquera pour un grand nombre d’entre eux des situations vécues qui sont tellement proches de la réalité qu’elles semblent appartenir à leurs souvenirs. Chirurgical et glaçant, le roman de Julia Von Lucadou détient le potentiel pour se hisser au rang des grandes dystopies.