Dernier lit du Rideau de Bruxelles au KVS jusqu’au 30 mars

Adapté et mis en scène par Christophe Sermet d’après la nouvelle d’Hugo Claus avec Claire Bodson et Laura Sepul. Du 19 au 30 Mars 2018 au KVS (Rideau de Bruxelles). Crédit photo : Gilles Ivan Frankignoul

 

 « Je n’ai pas peur de la mort, j’ai peur de la déchéance » Hugo Claus

On fantasme nos peurs, puis on les écrit. On rêve de cette mort spectaculaire, celle qu’on avait organisé mais qui ne s’est pas déroulée comme prévu, celle qui fait écho à toute une vie, celle qu’on a choisie mais qui était inévitable. Il n’y a de destin que celui qu’on se crée.

La pièce Dernier lit, dix ans après l’euthanasie de celui qui l’écrivait, raconte elle aussi une mort programmée. L’histoire dévoile la passion mortelle de deux femmes marginales. Emily arrive sur scène comme elle repartira, sans prévenir et sans cérémonie. Anna, spectatrice de sa propre histoire et actrice de celle de son amante, la suit.

Comment en est-on arrivé là ?

C’est ce qu’Emily tente de nous raconter, dans l’urgence du moment et dans la passion du souvenir. Décortiquer son vécu, retourner à la source, sa mère, puis à la tragédie, son grand amour. À l’aide de flash-backs, l’histoire se dessine. Tel un thriller, on cherche à comprendre et à décrypter les éléments dévoilés par fragments. L’interlocuteur d’Emily se distingue difficilement. On se laisse alors guider par les émotions de nos héroïnes qui nous plongent dans une sphère sensorielle. On vit intensément leurs impuissances, on subit leur tragédie.

Claire Bodson et Laura Sepul, sont étonnantes dans les rôles sensuels et provocants d’Emily et Anna. Leurs voix, toujours sur un fil, confondent rage et amour. Elles assènent, l’une après l’autre, leurs maux jusqu’au coup fatal, celui qui mettra fin à leur histoire. Toutes deux sont victimes de leurs bourreaux, la peur et le doute, et s’y abandonnent sur scène. Elles émeuvent, brûlent et remuent, exposant leurs révoltes sans nous épargner.

Te souviens-tu ?

La table valse, le corps s’effondre, le temps défile aux rythmes des coups. Un espace-temps mis en scène grâce à une scénographie habile. Une table, une chaise, et un souvenir retentit. La lumière s’écoule sur une scène épurée où chaque objet réveille une image : un néon nous propulse dans un hôtel, au bord de la plage, à Ostende. Le son résonne comme un écho perdu, les musiques bercent la solitude.

Sur le plateau, les corps à vifs et crus d’Emily et Anna sont peints dans une arrogante trivialité. Blessés et délirants, ils errent dans leur passion, tentant en vain de se raccrocher l’un à l’autre. Le metteur en scène Christophe Sermet retrace ainsi une ambiance souvent évoquée par l’artiste Nan Goldin, et réussit à nous projeter dans ses photographies. Le violet claque, les pulls brillent, le néon clignote. Le rouge à lèvre blesse et les baisers tâchent.

À l’aide d’un jeu vibrant et d’un texte poignant, Dernier lit nous emporte au cœur d’une passion tragique qui ne nous laisse pas intact.

A propos Luna Luz Deshayes 29 Articles
Journaliste du Suricate Magazine