Titre : Tintin et moi, entretien avec Hergé
Auteur.ice : Numa Sadoul
Edition : Casterman
Date de parution : 21 mai 2025
Genre du livre : Biographie, Documentaire
Numa Sadoul, jeune journaliste, début des années 1970, décide de tenter sa chance et d’aller rencontrer Hergé dans sa maison bruxelloise. De là, découle ce livre d’entretiens, Tintin et moi sorti en 1975, synthèse découpée en quatre chapitres (quatre numéros) où l’auteur de Tintin, Quick et Flupke et Jo, Zette et Jocko raconte son processus de travail, son passé, son futur, sa vie.
Avoir dans les mains cet ouvrage, fraîchement sorti de la machine, sentant le neuf, 50 ans après sa parution, est presque une aberration, tant il est complètement daté. La couverture, la mise en page, le texte assez conséquent, le propos, les illustrations. Tintin et moi a donc de l’intérêt pour les fans d’Hergé mais aussi pour toutes personnes qui s’intéressent à une certaine culture, celle que partageait Hergé et Numa Sadoul.
C’est assez passionnant à lire, surtout avec les lunettes d’aujourd’hui. Sadoul semble déterminé à prouver que l’auteur de Tintin n’est pas raciste, et lui posera mille fois cette question : vous n’êtes donc pas raciste, comme on le prétend ? Hergé s’explique alors, répondant qu’il est le fruit, comme tous les autres, de son époque (disons les années 1930, lors de la parution de Tintin au Congo). Sadoul n’est pas ici pour polémiquer, parler des accointances d’Hergé avec l’abbé Wallez, connu pour être d’extrême droite, ou avec Léon Degrelle, ou sur le fait d’avoir continué à travailler pour Le Soir durant l’Occupation. Sadoul écoute Hergé, impressionné par l’être qu’il a devant lui.
Si la question du racisme ou non d’Hergé revient régulièrement, celle questionnant le fait qu’il y ait si peu de femmes dans Tintin sera résumée en trois lignes : Hergé dit c’est bien connu, les femmes ne sont pas vraiment des êtres comiques. Sadoul réplique : tout à fait, ce sont des objets à respecter. Hergé conclut : c’est leur côté maternel qui les empêche d’être drôles. CQFD. Ainsi, s’ils se défendent tout du long d’être racistes, les hommes sexistes restent sexistes jusqu’au bout des ongles (c’était l’époque dira-t-on).
Un ouvrage dans son jus
Avoir dans ses mains un livre tout droit des années 1970 a donc ses avantages et ses inconvénients : il faut accepter le contenu pour ce qu’il est, le témoignage d’une époque, et l’arrogance classiste d’un Sadoul qui dit à Hergé qu’il ne voit pas pourquoi celui-ci devrait se sentir coupable d’être riche, Sadoul étant un jeune journaliste de 25 ans, fils d’un gouverneur de la France d’Outre-Mer né au Congo, homme blanc issu d’une famille… riche.
Mais un entretien fascinant
Cela étant dit, et si vous mettez de côté l’épouvantable découpage en quatre niveaux de Tintin et moi sans queue ni tête, et les répétitions inlassables que Sadoul n’a pas voulu jeter, cet entretien est fascinant. Après avoir lu Tintin dans votre jeunesse, vous découvrez maintenant l’envers du décor. Sadoul a fait le choix audacieux de ne publier que des dessins et des personnages peu connus d’Hergé. En parallèle de ces illustrations, on apprend des choses sur sa relation au travail, ses réponses aux fans, sa foi en la jeunesse des années 1970 et en l’avenir, son sens de l’humour, son grand professionnalisme, ses traits de ressemblance ou non avec Tintin, sa philosophie de vie et d’artiste, alors qu’il terminait Tintin et les Picaros, qui sera le dernier album complet, son apaisement spirituel, son ami Tchan Tchong Jen, dont il n’avait pas encore reçu de nouvelles depuis 30 ans. Hergé semble aimer raconter, si pas sa vie intime, du moins son parcours exceptionnel, avec modestie.