
Personne n’y comprend rien
Réalisateur : Yannick Kergoat
Genre : Documentaire
Nationalité : France
Date de sortie : 16 avril 2025
Après quatorze années d’enquête, Médiapart présente les éléments que ses journalistes ont pu réunir concernant l’affaire Sarkozy-Kadhafi. L’objectif de Personne n’y comprend rien est simple : présenter les enjeux, les faits documentés, les personnes impliquées et ce qui les lie dans ce qui pourrait être l’affaire de corruption la plus importante de la Cinquième République.
Début d’année chargée pour Nicolas Sarkozy. Le 6 janvier, c’est l’ouverture du procès sur le financement libyen de la campagne présidentielle de 2007 dont il est le principal accusé. Le 8, c’est la sortie en salle de Personne n’y comprend rien, un documentaire réalisé par Yannick Kergoat et Médiapart dans lequel l’ancien chef de l’État français tient le rôle principal, le sien. On comprend bien son absence à la sortie du film.
C’est pourtant un film d’un intérêt tout particulier. D’aucuns diront d’intérêt public. Certes, il est peu audacieux au niveau artistique : la mise en scène fait le choix de la sobriété et la musique est presque inexistante. On note d’excellentes idées de montages par lesquelles s’écrit la temporalité de l’enquête. Cette dernière est confrontée avec des images d’archive qui offrent parfois un léger ton humoristique. Pourtant, ce n’est pas par ses procédés filmiques que le documentaire se démarque. En fait, tout semble avoir été misé sur le scénario, qui est abracadabrantesquissime.
Ce scénario, c’est l’enquête menée par Médiapart. Juste la somme de 196 articles, la collecte de documents, de témoignages et d’analyses fort compromettantes pour le clan Sarkozy. C’est le détail du « pacte de corruption » présumé que ce clan aurait noué avec le dictateur Mouammar Kadhafi et son clan. L’affaire judiciaire étant encore en cours (le tribunal doit rendre son verdict le 25 septembre), les accusés restent présumés innocents. Il est question de versements de fonds occultes (à hauteur de 5 millions d’euros), de chantages, d’agents de corruption (issus des services secrets, ils sont les intermédiaires, les « ouvreurs de portes » qui agissent dans l’ombre), de rencontres secrètes commises en parallèle du cadre diplomatique, d’exfiltrations de terroristes, de manipulations médiatiques, etc. On aimerait (vraiment) se croire dans un excellent Scorsese.
Le film est d’une densité toute gérée et prend notamment le focus sur le plaidoyer de la défense. Ce dernier consiste à dire qu’il n’existe pas de preuves matérielles, pas de témoins crédibles, que les accusés auraient été pris au piège et que « personne n’y comprend rien » car toute cette affaire aurait été montée de toute pièce par les journalistes de Médiapart (pour diffuser une idéologie ? parce qu’ils n’arrivaient pas à trouver de quoi s’occuper ?). Médiapart reste effectivement le journal qui a rendu l’affaire publique en 2011 et d’où est issue l’enquête la plus rigoureuse du champ médiatique. Pas de Médiapart, pas de procès. Pas de procès… pas de procès.
Evidemment, les journalistes revendiquent ne pas faire le travail des tribunaux. Par contre, ils reviennent sur leur profession et montrent l’importance fondamentale du relai médiatique dans cette affaire. Il est montré de quelle manière et pour quelles raisons (spoiler alert : on leur a gentiment demandé) certains médias ont relayé le plaidoyer de Sarko. D’une part, il s’agit d’assurer sa défense auprès de l’opinion publique, d’autre part de favoriser son offensive. L’offensive dont on parle, qui serait devenue monnaie courante ces vingt dernières années selon Julia Cagé (économiste spécialisée dans les médias) et François Molin (magistrat et ancien Procureur), consiste à remettre en question l’intégrité des magistrats et la neutralité de l’appareil judiciaire. En effet, si certains représentants politiques sont attaqués en justice, ce n’est pas du tout car ces personnes sont des racailles (présumées), mais car la sphère judiciaire serait corrompue et bien décidée à les court-circuiter politiquement. Quelle indignité…
D’un courage qui honore la vocation, le film est un cas d’école pour le journalisme d’investigation.
Pour plus d’informations : Dossier Médiapart « L’argent libyen de Sarkozy »