Titre : Le Palmier
Auteur.ice : Valentine Goby
Edition : Actes Sud
Date de parution : 20 août 2025
Genre du livre : Roman
Avec Le Palmier, Valentine Goby déroute. Non pas par un artifice narratif spectaculaire ou par une intrigue haletante, mais par une écriture qui refuse la linéarité, qui privilégie la contemplation et l’impression fragmentaire.
Le récit s’ouvre sur une scène d’élagage : un palmier centenaire, rongé de l’intérieur par des larves, s’élève comme une présence spectrale dans un jardin familial. La jeune Vive, fillette témoin de cette opération, découvre dans l’arbre ouvert l’inquiétante matérialité de la décomposition : galeries, larves, matière fragilisée. Ce palmier, amputé et condamné, devient l’ombre portée du roman tout entier.
Narration fragmentée
Dès les premières pages, le style de Valentine Goby désarçonne, interpelle, interroge. C’est une lecture exigeante, qui demande patience et sensibilité. Le texte nous place en position de témoin attentif, convoquant nos sens — odorat, ouïe, toucher — dans une expérience presque immersive. Il faut se laisser atteindre par cette langue singulière, où chaque mot semble chargé d’une intention organique.
Progressivement, l’allégorie centrale du palmier rongé de l’intérieur se révèle. Et si cet arbre, proche de l’effondrement, reflétait la vie intérieure de l’enfant ? Si sa décomposition incarnait la fragilité psychique et affective d’une fillette privée des nourritures vitales de l’amour et de la sécurité ? La nature malade devient le miroir d’un intime fissuré.
La structure du texte évoque d’ailleurs le flux de conscience d’un enfant : chapitres courts, impressions juxtaposées, observations sensorielles. L’écriture rappelle la logique du « ça » freudien — domaine de l’inconscient illogique — où les images se succèdent comme dans un rêve. La nature, omniprésente, impose ses rythmes : saisons, odeurs, métamorphoses. Elle façonne la sensibilité de Vive, dont le père, créateur d’odeurs, alimente une bibliothèque olfactive d’une richesse rare, faisant d’elle un être sensoriel à fleur de peau.
Mais des dissonances affleurent dans cette relation : le père, figure à la fois absente et autoritaire, laisse percer une violence sourde dans les silences du texte. Le roman adopte une approche presque méditative, où l’érosion invisible de l’âme enfantine est minée par l’indifférence ou la brutalité domestique.
Une tension latente
Au fil des scènes, une tension sourde s’installe. Comme un fantôme tapi dans un placard, un malaise se fait sentir, comme si une catastrophe se préparait à chaque nouveau chapitre. Le récit, qui épouse le rythme des saisons, devient la colonne vertébrale organique de cette attente inquiète, de ce pressentiment d’une violence latente. Jusqu’où cette tension ira-t-elle ? Cela appartient au lecteur de le découvrir.
Le Palmier est un livre exigeant : il peut fasciner par sa densité organique ou rebuter par son hermétisme contemplatif. Mais il ne laisse pas indifférent. Il engage le lecteur dans une expérience singulière, faite d’images sensorielles, de symboles et de silences. On y lit moins une intrigue qu’un combat invisible entre forces vitales et forces destructrices, inscrit dans la matière même du texte.
À l’incipit de l’œuvre, on pourrait conclure que la patte de Valentine Goby n’est peut-être pas celle qui nous atteint le plus. Mais il est indéniable qu’elle saura toucher d’autres lecteurs, sous d’autres nuances. N’est pas là la véritable incarnation de la littérature : un lieu commun où certains ne font que passer, tandis que d’autres s’arrêtent et trouvent un refuge.
