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    Kiss and Cry, un geste artistique rare

    En 2013 se jouait pour la première fois le spectacle Kiss and Cry de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael à l’espace Aula Magna de Louvain-la-Neuve. On l’avait déjà croisée en 2017. Douze années plus tard, après plus de 300 représentations à travers le monde, l’une des plus célèbres pièces belges à l’international revient là où tout a commencé, le temps d’une poignée de dates seulement – toutes complètes, évidemment.

    Il n’aura pas fallu longtemps pour que l’ensemble des sièges de l’Aula Magna soient pris d’assaut par les curieux.ses n’ayant pas encore eu la chance de découvrir ce bijou de « nano-danse » – un terme un peu étrange au premier abord, mais qui prend tout son sens dès les premières minutes de la pièce. Car Kiss and Cry, c’est d’abord cela : une œuvre dans laquelle les protagonistes sont incarnés… par des mains. Oui, des mains. Et pourtant, on y croit, on s’y attache, on est emporté.

    Ce voyage onirique, minutieusement orchestré, repose sur trois piliers essentiels : l’écriture (signée Thomas Gunzig), le cinéma (dans l’œil subtil de Jaco Van Dormael), et bien sûr, la chorégraphie (pensée et portée par Michèle Anne De Mey). L’assemblage de ces univers artistiques donne naissance à un objet scénique hybride, à la fois poétique, technique et profondément touchant.

    Ce qui frappe dès l’ouverture, c’est l’incroyable dispositif scénique déployé sur le plateau. On découvre un capharnaüm organisé de décors miniatures, rails de travelling, éclairages miniatures, petites caméras mobiles, objets détournés. Un monde en réduction où chaque élément, aussi minuscule soit-il, a son importance. Les artistes et technicien.ne.s s’installent comme des musicien.ne.s d’orchestre, prêt.e.s à se mettre en mouvement à la moindre impulsion.

    Ce ballet millimétré est tout simplement fascinant. Tout bouge, tout s’enchaîne avec une précision presque vertigineuse, sans jamais tomber dans la démonstration gratuite. On assiste à la création d’un film en temps réel, projeté simultanément sur un grand écran. Le regard du spectateur est alors invité à se diviser : suivre l’action sur scène et en même temps découvrir, sur écran, l’œuvre finale. Ce double niveau de lecture ne nuit en rien à la magie du moment, au contraire : il en souligne la beauté artisanale.

    Car là est peut-être la plus grande force de Kiss and Cry : cette capacité à dévoiler tous les artifices, tous les mécanismes du récit… sans jamais en altérer l’enchantement. Tout est montré, et pourtant tout continue de nous émerveiller. Et puis il y a ces mains – mains d’enfants, mains d’amoureux, mains solitaires – qui incarnent avec une délicatesse désarmante une histoire d’amour et de mémoire, d’oubli et de traces laissées sur la peau.

    Ce choix d’utiliser les mains comme vecteur narratif est d’une justesse rare. Il donne à voir une forme d’universalité, une humanité à fleur de peau. Ces fragments de corps deviennent des personnages à part entière, capables d’exprimer la tendresse, la perte, la nostalgie ou le désir avec une subtilité que bien des visages peineraient à égaler.

    Mais – car il y a un mais – tout cela ne conviendra pas à tout le monde. Le récit, volontairement poétique et fragmentaire, peut désarçonner. On est parfois plus proche du poème visuel que du théâtre narratif. Certains y verront une beauté contemplative, d’autres une absence de rythme. Et c’est peut-être là que Kiss and Cry divisera : entre celles et ceux qui se laisseront bercer, et celles et ceux qui resteront sur le quai.Kiss and Cry est un geste artistique rare, une œuvre qui prend le risque de l’inattendu, du sensible, du minuscule. Elle touche sans appuyer, séduit sans plaire à tout prix. On y entre comme on entre dans un rêve : un peu à tâtons, mais avec l’envie profonde de s’y perdre. Et une fois la lumière rallumée, difficile de ne pas être ému par ce qu’on vient de vivre. Même si on ne sait pas tout à fait l’expliquer.

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