Titre : Deux innocents
Auteur.ice.s : Alice Ferney
Edition : Babel
Date de parution : Mai 2025
Genre du livre : Roman
Elle est passée maître dans l’exploration de ce qui fait du quotidien, et surtout du domestique, un outil de la fiction. Alice Ferney, abonnée aux éditions Actes Sud, s’est imposée depuis plusieurs années à la scène littéraire francophone. On ne présente plus cette autrice de l’intimité, dont le dernier livre Deux innocents est désormais disponible en format poche.
La littérature raffole de l’opposition entre le bien et le mal. Elle est gorgée de héros musclés qui luttent avec acharnement pour défendre la vertu contre des méchants vraiment vilains. Mais Alice Ferney n’est pas de ses autrices qui font des lettres le témoin d’une justice inébranlable. Avec Deux innocents, elle dévoile une faille dans le système. Elle met en branle ce que nous prenons très souvent pour immuable : la définition que nous faisons de ce qui est honnête et bon. Et pour ce faire, elle ne choisit pas la facilité, en traitant d’un sujet qui est par définition délicat. Celui de l’affection que témoigne un adulte pour un enfant.
Claire Bodin organise son quotidien dans le respect des valeurs chrétiennes. C’est une mère de famille convaincue que la foi est une bénédiction pour le monde. Et quand elle évoque les scandales qui éclaboussent le clergé, elle le fait toujours avec un scepticisme non dissimulé. Bien sûr, il faut respecter les victimes. Mais les abus de certains faibles ne suffisent pas à justifier la méfiance à laquelle incitent les progressistes, alors même que l’institution repose sur la clémence et la compassion.
Claire est une femme rigoureuse qui ne joue pas double jeu. Elle porte son discours fièrement. Franchement. Pas question pour elle de revenir sur ses principes. Et d’ailleurs, elle fera de cette constance son cheval de bataille quand elle sera, à son tour, couverte d’opprobres. Claire est une enseignante valeureuse, pleine de bonhomie, qui transmet à ses élèves porteurs d’un handicap mental, l’amour et la confiance dont ils ont besoin. La générosité de ses formes n’a d’égale que celle de son cœur. Et même quand des parents commencent à confondre sa dévotion avec de la séduction, Claire ne se laisse pas abattre. Mais sur ce point, elle est peut-être trop naïve. Car la machine judiciaire ne tarde pas à s’enrayer.
Dans un récit écrit à la première personne, Claire livre sa version des faits. Mais, malgré le point de vue unilatéral du récit, on ne lui offre pas le bon dieu sans confession. Deux innocents se lit comme une tentative de justification, ou tout du moins une recherche d’approbation. Une manière pour Claire de prouver son innocence. Mais en réalité, le jeu d’Alice Ferney est plus sinueux. En imposant la défense de Claire, il sème le doute. Si c’était la bonne volonté qui était jugée, l’innocence de Claire serait indéniable, mais ce sont les faits et non l’intention qui font l’objet, ici, d’une condamnation. Et à la fois, Alice Ferney nous incite à la compassion pour cette enseignante qui mène une vie simple et dont le seul tort est de vouloir propager l’amour. L’autrice semble mettre en garde contre des accusations trop virulentes. Tout l’enjeu de cette introspection qui parfois tire en longueur, est de faire s’effondrer les certitudes. De laisser le lecteur pantois. Déséquilibré.