« Déracinée », ou de la bonne fantasy médiévale et féministe

Titre : Déracinée
Autrice : Naomi Novik
Editions : J’ai Lu
Date de parution : 26 septembre 2018
Genre : Fantasy

Agnieszka est une jeune fille impulsive et maladroite qui a un don pour constamment se salir et abîmer ses vêtements quand elle part à la cueillette des baies les plus recherchées de la forêt. Son amie Kasia, quant à elle, est tout l’inverse : gracieuse, intelligente et surtout, on l’a éduquée depuis sa tendre enfance dans le but de servir le Dragon, car le village tout entier est convaincu que c’est elle qui sera choisie. En échange de sa protection contre le Bois et ses créatures démoniaques, ce mage sélectionne tous les dix ans une jeune fille de Dvernik qu’il emmène avec lui dans sa tour. Elle est libérée au bout d’une décennie, mais est pour toujours différente et étrangère aux yeux de tous. Personne ne sait ce qu’il se passe dans cette tour, et Agnieszka a peur pour son amie.

Déracinée (2015) est un roman de fantasy médiéval d’Europe de l’Est. On se retrouve face à des intrigues politiques et historiques qui n’ont rien à envier à la série L’Assassin royal de Robin Hobb. Mais l’auteure, Naomie Novik, s’est inspirée ici du folklore de la Pologne, dont sa mère est originaire, pour écrire son livre, apportant ainsi une touche slave à son intrigue. On le remarque au niveau des noms des personnages, comme Agnieszka. Le principe du mage qui enlève une jeune fille dans sa tour nous fait penser au mythe de Rumpelstiltskin qui, en échange du premier né de la future reine, lui rend un énorme service. Et à plusieurs reprises dans le récit, on nous parle de Baba Jaga, célèbre croque-mitaine dans la culture slave. Les noms des lieux font également écho, comme la nation rivale Rosya, dont le nom fait référence au mot polonais pour “Russie”.

Le début de l’histoire nous fait quelque peu penser à la tétralogie La Passe-Miroir de Christelle Dabos (démarrée en 2013) : une jeune fille maladroite et assez ordinaire de prime abord, qui va se retrouver liée à un homme plus âgé, doté d’un certain pouvoir, renfermé sur lui-même et désagréable. Tableau connu qu’on retrouve également dans la relation qu’entretiennent Sophie et Hauru dans le film d’animation Le Château ambulant du Studio Ghibli, ou encore à un autre niveau entre Ellie et Joel dans le jeu vidéo The Last of Us. Mais Naomi Novik apporte une certaine fraîcheur féministe à ce schéma connu. D’abord via son héroïne : Agnieszka est impulsive et va développer des capacités insoupçonnées. C’est son impétuosité qui va lui ouvrir les portes de la magie et qui va lui permettre de prouver, malgré elle, qu’il existe une infinité de possibilités pour la pratiquer. Elle ne change pas de personnalité pour autant et reste fidèle à elle-même jusqu’à la fin.

Un autre aspect rafraîchissant est la relation qu’entretiennent l’apprentie et le magicien. À l’inverse de beaucoup de livres, l’héroïne n’a pas besoin de cette romance pour s’accomplir. C’est même elle qui va enseigner une certaine ouverture d’esprit au Dragon dans l’optique de sauver son peuple, et non dans celui de se rapprocher du mage.

Enfin, la protagoniste dont l’évolution est la plus intéressante est Kasia. On nous la dépeint au départ comme une jeune femme belle, intelligente, gracieuse, ce que beaucoup voient comme l’archétype de l’héroïne princesse médiévale. Mais son personnage va passer par plusieurs épreuves et va énormément changer au fil du récit. On pourrait même parler d’empowerment.

Le principe du Bois maléfique dont tous les protagonistes ont peur est plus compliqué qu’il n’y paraît. Et le lecteur pourra le découvrir tout au long de l’histoire. On pourrait penser à une métaphore de la nature qui se rebelle face à l’humanité qui la détruit, idée qu’on retrouve dans Princesse Mononoké, autre film d’animation du Studio Ghibli. Est-ce que Naomi Novik essaie de faire passer un message à ses lecteurs? Et y a-t-il d’autres niveaux de lecture dans ses romans? Pour le savoir, il va vous falloir ouvrir ce livre et en profiter pleinement.