De Myriam Leroy
Mise en scène Morena Prats
Avec Thibaut Nève, Ariane Rousseau et Stéphanie Van Vyve
Du 16 octobre au 29 novembre 2025
Au Théâtre de la Toison d’Or (TTO)
Placez vos pions sur l’échiquier.
Une conseillère en image : check ! Une cheffe de cabinet : check ! Un ministre : check ! Un scandale prêt à éclater dans la presse : presque check… Vous allez comprendre.
Quand ça pique
La table est ovale, les chaises bien réparties, un vieux banc solaire traîne dans un coin. Le décor est planté pour une réunion de crise : obligatoire, urgente, nécessaire. Demain, un journaliste publiera un article choc, titré comme un scandale. Un témoignage anonyme accuse le ministre de la Mobilité de harcèlement moral et sexuel. La cheffe de cabinet est sur le qui-vive : il faut réagir, anticiper, préparer une réponse.
La communication de crise dans toute sa complexité : choisir le bon ton, le bon angle, le bon timing. Pour ça, rien de mieux qu’une experte. Et pour bien faire son travail, elle doit s’assurer qu’aucune casserole ne traîne dans le passé du ministre. Il ne faudrait pas qu’un vieux dossier nous explose en plein vol. Alors on se pose, on respire, et on pose les questions :
« Monsieur le Ministre, qui pourrait chercher à vous nuire, et pourquoi ? Dans votre passé, quelqu’un pourrait-il avoir quelque chose à vous reprocher ? À caractère sexuel, peut-être ? »
Le cadre est posé.
Quand ça cogne
On s’installe, prêt à rire, à passer un bon moment. À des années-lumière d’imaginer le choc qui nous attend. Parce que cette fois, Myriam Leroy frappe fort. Juste. Sans détour. Avec une rhétorique implacable et une intelligence de propos qu’on rêvait de voir un jour sur scène.
Le sexisme ordinaire, c’est quoi ? Est-ce si grave ? Comment distinguer la maladresse d’une vraie violence ? Une tentative maladroite de séduire ? Un compliment mal placé ? On vit à une époque où « on ne peut plus rien dire », où la peur d’être accusé plane, parfois pour une main sur l’épaule ou un mail trop chaleureux. Est-ce qu’on ne dramatise pas un peu ?
Ces phrases résonnent en vous ? Vous vous dites : « Enfin ! Une pièce qui dénonce une société wokiste qui va trop loin ! » Tant mieux : vous êtes au bon endroit. Installez-vous confortablement, ce que vous allez entendre est important.
Et si, au contraire, ces phrases vous crispent… Bonne nouvelle : vous êtes au bon endroit aussi. Car cette pièce, avant tout, interroge. Elle joue, elle dialogue, elle déconstruit la schizophrénie profonde de notre société. Trois pensées s’affrontent, incarnés brillamment par Thibaut Nève, Ariane Rousseau et Stéphanie Van Vyve. Ensemble, elles dessinent les contours de notre Styx moderne : masculinité toxique, système patriarcal, violences sexistes ordinaires. La scénographie épurée de Saïd Abitar renforce le huis clos : une ambiance polar, où les lumières s’agitent et où s’égrènent, une à une, les potentielles plaignantes et leurs histoires. La mise en scène de Morena Prats joue des contrastes, explore la satire, la tire, l’enveloppe dans le cynisme et l’ironie. Ça grince, ça claque, ça griffe, ça frappe. L’éducation par l’exemple fonctionne depuis la nuit des temps. Merci à la reine Leroy de nous le rappeler, de nous faire sourire quand le sujet devient lourd, de le faire parce que c’est nécessaire.
A la question : pourquoi aller voir Cellule de crise ?
Parce que si vous êtes déjà arrivé au travail avec la boule au ventre. Si vous avez déjà souri face à un collègue un peu lourd lors du pot de départ de Monique. Si vous pensez que les combats féministes ne sont pas pour vous. Si vous ne vous y reconnaissez même pas. Si vous vous battez pour des postes de direction et qu’on ne reconnaît pas vos compétences, alors que votre collègue Olivier a déjà eu deux promotions depuis son arrivée. Alors, cette pièce vous fera du bien.
Cellule de crise n’est pas qu’un spectacle : c’est un très joli costard que Myriam Leroy taille au patriarcat avec un scalpel et de l’acide… Une pièce qui fait réfléchir autant qu’elle fait sourire, parce qu’elle ose avec brio là où beaucoup reculent. Et bon sang, que c’était jouissif.
