
Architecton
Réalisateur : Victor Kossakovsky
Genre : Documentaire
Nationalité : Allemagne, France
Date de sortie : 28 mai 2025
Victor Kossakovsky explore la matière la plus solide pour réfléchir à la relation entre l’homme et l’architecture.
Après l’immersion sensorielle d’Aquarela, centrée sur l’élément aquatique et les effets dévastateurs du changement climatique, et Gunda, qui portait un regard contemplatif sur le monde animal, Viktor Kossakovsky propose cette fois une méditation sur la pierre. Architecton, présenté à la 74e édition de la Berlinale, est une œuvre monolithique qui, presque sans paroles, interroge à la fois la solidité et la nature éphémère de la pierre. La caméra glisse sur les surfaces de la pierre naturelle et sur les édifices antiques, comme les ruines de Baalbek au Liban, vestiges de civilisations millénaires.
Les images somptueuses se mêlent à celles des ruines : des pierres qui s’effondrent de manière sublime, bouleversante et oppressante, révélant la fragilité et la fugacité de ce que l’homme considère comme l’élément le plus stable et durable. Éboulements, minéraux extraits, roches fragmentées puis recomposées en matériaux de construction sont utilisés dans des bâtiments eux-mêmes voués à être érodés ou détruits par des cataclysmes, qu’ils soient naturels ou provoqués — comme les ruines en Turquie après le tremblement de terre de 2017, ou en Ukraine, conséquence de la guerre en cours.
Ce fragile équilibre entre le naturel et l’artificiel se trouve ainsi au cœur d’une réflexion plus vaste sur le cycle de la vie. Aux plans silencieux s’ajoutent, d’un côté, ceux montrant la superposition artificielle et peu naturelle des pierres, et de l’autre, ceux qui suivent l’architecte italien Michele De Lucchi, dirigeant des travaux dans son propre jardin. De Lucchi, dont la carrière est marquée par la conception de bâtiments liés au design industriel, se place au même niveau que les maçons qui réalisent un cercle de pierres issues du territoire, formant ce qu’il considère comme un cercle magique.
Dans un épilogue final, le cinéaste et l’architecte échangent sur le rôle du béton dans l’architecture contemporaine, et sur les raisons pour lesquelles nous ne sommes plus capables de bâtir des constructions durables au-delà de quarante ou cinquante ans. La réponse de De Lucchi, qui dévoile également la thèse du documentaire, est aussi simple qu’intrigante : la force de notre progrès apparent réside dans la capacité à aller à l’encontre de l’ordre naturel, en érigeant des structures qui s’imposent au paysage dans leur artificialité assumée, rendue possible par l’usage du béton et de matériaux transportés de loin.
Mais, selon De Lucchi, la beauté architecturale est aussi liée à la fertilité : à la conscience qu’un édifice n’est pas qu’un assemblage de matériaux, mais un espace capable de générer de nouveaux sens et de nouvelles images. Un bâtiment est beau quand il devient symbole. Et un symbole fertile et durable ne peut naître que s’il prend racine dans le territoire où il s’élève : le cercle dans le jardin de De Lucchi est « magique » justement parce qu’il est construit avec les pierres du lieu.
Si l’architecture n’est qu’une « manière de réfléchir à notre manière de vivre » — comme l’affirme l’architecte — alors il devient évident que les principes esthétiques qui régissent la vie moderne doivent être profondément réévalués. Dans un monde où la question des ressources — ou plutôt de leur finitude — devient chaque jour plus pressante, Kossakovsky plaide pour un retour au cercle naturel de la vie. Le réalisateur russe souligne enfin que le béton, matériau inexistant dans la nature, est aujourd’hui la deuxième ressource la plus consommée au monde après l’eau. Ainsi, ce documentaire nous ramène lui aussi à une prise de conscience alarmante : celle de nos consommations et de l’impact croissant qu’elles exercent sur l’écosphère.