Titre : Lointains mes mots
Auteur.ice.s : Sandrine Revel et Anaëlle Hermans
Edition : Dargaud
Date de parution : 18 avril 2025
Genre du livre : Roman graphique
C’est l’éternelle quête de nouveaux possibles que nous racontent Sandrine Revel et Anaëlle Hermans. L’abandon d’une existence urbaine pour une reconnexion à la nature. Mais ce cap pour la Province, très en vogue dans la littérature, n’est pas honnêtement le point de départ de Lointains mes mots. Les deux autrices explorent ce fantasme citadin, certes. Mais pas que.
Si Claire passe des heures à déshabiller une pierre de la couche de pétrole qui la drape, entamant une relation presque monogame avec son sédiment rocheux, ce n’est pas seulement pour satisfaire son besoin de connecter avec la nature. Claire est une passionnée des mots, dont le métier est d’enseigner aux élèves la rigueur du langage. Traductrice également, elle est animée par un idéal de justesse. Mais après un accident cardio-vasculaire, Claire perd certaines aptitudes, dont l’aisance qu’elle avait à nommer les choses.
Claire oublie ces mots si précieux qui nourrissaient sa vie professionnelle. Pour ne pas plier face au handicap, la jeune femme décore son quotidien de post-it. C’est une véritable invasion de pense-bêtes destinés à ne pas laisser les mots s’échapper de sa mémoire. Frigo. Armoire. Chaise. Lait. Se remémorer tous ces objets, auxquels nous ne prêtons pas attention, demande à la jeune femme une concentration particulière. Et puis surtout, une retraite s’impose pour elle qui, de toute façon, ne peut plus exercer. Alors elle noie sa déception, non dans l’alcool, mais dans la mer. Grâce à la plongée sous-marine, elle apprend à apprécier le silence. Et à connecter avec la nature bien sûr.
Le lecteur comprend qu’avec l’accident, ses priorités se sont déplacées. Ce ne sont plus les ambitions qui guident Claire, mais l’importance donnée au soin. Claire veut être à l’écoute de son corps. L’aider. Mais aussi guérir la terre qui l’accueille. L’âme et son environnement sont des éléments que Sandrine Revel et Anaëlle Hermans se permettent de mettre en parallèle. Si Claire échoue sur ce village côtier, c’est, donc, d’abord, pour débarrasser sa faune et sa flore des conséquences du naufrage d’un pétrolier.
Lointains mes mots, en plus de mettre en lumière le handicap dans sa diversité et de s’imposer comme un appel à agir pour une terre plus saine, est aussi une proposition esthétique très aboutie. Claire est touchante, comme l’est le dessin pastel de Sandrine Revel qui s’était déjà illustrée avec ses biographies consacrées à Glenn Gould et Tom Thomson. D’ailleurs, si ce dernier lui avait offert la possibilité d’affronter l’hostilité des paysages montagneux du Canada, aujourd’hui, c’est aux fonds marins qu’elle se consacre. Et ce, avec cette même délicatesse qui lui avait déjà à l’époque valu nos éloges.