De la Cie Opinion Public
Chorégraphie et mise en scène de Sidonie Fossé
Danseurs Maria Christina Bonatsou, Emelyne Groux, Louise Jaffré, Sueva Keller, Marta Modesto Ferrer, Youna Hervé-Montel, Alicia Vlerken, Noémie Khane, Victoria Dewinne, Alix Noorbergen, Riyo Yoshikawa
Les 14 et 15 mai 2025 au Théâtre Marni
Un très jeune ballet affronte un titan : porter sur scène Le Sacre du Printemps d’Igor Stravinsky en suivant les pas de Maurice Béjart. La tâche est de taille. Mené par la direction artistique de Sidonie Fossé (Opinion Public), le spectacle est prometteur.
Le Junior Ballet Project est jeune et ambitieux. Sidonie Fossé en est la cofondatrice et directrice artistique. Après sa formation en danse classique et contemporaine à Rouen et à Paris, elle entre à l’École Atelier Rudra-Béjart. Après un an, Maurice Béjart l’engage pour son ballet, au sein duquel elle jouera plus de cent fois le Sacre de Stravinsky. Il y a 15 ans, elle fonde avec quatre condisciples la compagnie Opinion Public. Marquée par l’héritage néo-classique de l’enseignement de Béjart, la compagnie affirme la création d’un nouveau style artistique qui danse « notre opinion ».
Pour ce faire, la compagnie propose une formation de deux ans aux jeunes de 17 à 25 ans voulant se développer professionnellement et artistiquement : le Junior Ballet Project. Pour leur premier spectacle, qui annonce une belle carrière au projet, la compagnie monte Le Sacre du Printemps de Stravinsky. Ce choix n’est pas anodin. Musicalement, l’œuvre est une icône du modernisme. Réputée pour ces rythmes insoutenables, pour ses sonorités tribales qui évoquent les rites sacrificiels racontés dans l’argument, pour son immense intensité dramatique, l’œuvre a scandalisé le public parisien de 1913. Révolutionnaire hier, l’œuvre est aujourd’hui classique.
Pour explorer des voies nouvelles avec cette œuvre, un·e chorégraphe doit se rendre libre. Lorsque Béjart fonde Ballet du XXe siècle à Bruxelles, sa première création fut le Sacre. Triomphale, l’œuvre créée à la Monnaie en 1959 tourne partout dans le monde et consacre le danseur comme le grand chorégraphe de la modernité. Sidonie Fossé et la compagnie Opinion Public semble donc avoir l’ambition de suivre les pas du maître (du moins de lui rendre un hommage). Au point même de danser sur la version de Boulez et du Cleveland Orchestra (celui-là même qu’avait choisi Béjart).
Dès lors, que fait Sidonie Fossé et sa compagnie pour honorer ces héritages avant-gardistes ? D’abord, il faut dire qu’elle rend grâce à l’intensité dramatique de la musique. Le spectacle a une force poétique évidente. Nul besoin de comprendre les codes ou le vocabulaire chorégraphique pour sentir l’étrange, la puissance et la magie qui opèrent. Composer avec les codes de la danse classique, du floorwork et du partnering aura été un choix peu évident, mais c’est une polyvalence qui porte ses fruits. Le jeu (il y a du jeu, oui, comme au théâtre), la scénographie et les costumes participent nettement à porter le spectacle. Finalement, il n’est plus question d’une Élue que la communauté rituelle élit et sacrifie, comme dans l’argument d’origine. Une à une, elles finiront toutes par être élues pour le sacrifice. C’est l’occasion de solos et de décentrages très bien exécutés. C’est aussi un propos : un temps oppresseuse, l’autre temps opprimée (aka l’arroseur arrosé). Ainsi, les codages genrés, la domination, l’oppression, la compétition, l’ostracisme, la manipulation et la violence systémique rythment la danse. Autrement dit, les rapports de force se suivent et se ressemblent.