Les Fidèles ; croix de bois, croix de fer, si j’mens j’vais en enfer

Scénario : Ben Gijsemans
Dessin : Ben Gijsemans
Éditeur : Dargaud
Sortie : 21 avril 2023
Genre : Roman graphique

Et si quelqu’un vient à bout de celui qui est seul, deux lui tiendront tête ; un fil triple ne rompt pas vite. Quelques mots tirés de la bible flottent, laconiques, dans l’immensité de la quatrième de couverture. Et pourtant, comme une énigme, tout s’y trouve. L’Ecclésiaste qui porte par écrit la fragilité de la vie, ne se tient pas là par hasard. Il annonce ce que tout lecteur qui s’est un jour retrouvé avec une bande dessinée de Ben Gijsemans dans les mains, sait ; le quotidien peut être une terre féconde pour le narrateur capable de le cultiver. Il faut dire que Ben Gijsemans c’est un peu le Jim Jarmusch de la bande dessinée. Sa conception de la beauté réside dans ce qui est lent, routinier, fébrile.

Cette piété, elle investit le récit dès sa genèse. L’album s’ouvre sur Carl, enfant de chœur, distrait de son rôle de sonneur de cloche par les gambettes d’une jolie nana assise au première rang. Mais l’observateur est observé. Sur la stalle opposée, son père, au regard sévère, croise les bras. Carl aura-t-il la permission de traîner avec son grand frère après la messe ? De visiter la maison abandonnée, en compagnie de Peter, ce voyou qui ne va même pas à l’église. Pas de grands projets pour les frangins, ces deux explorateurs en culotte courte. Ces vacances, ils les passeront chez papy et mamie. Et paisiblement s’écoulera l’été ; l’arôme de l’herbe fraîchement coupée et le plaisir des premières branlettes. L’insouciance que partagent les enfants n’impose qu’une condition, mais elle est irrévocable ; la loyauté.

Subversif

Exit Spirou et la ligne claire. L’auteur flamand est plus proche de Chris Ware que d’Hergé. Les Fidèles est aussi rafraîchissant qu’une limonade au soleil, dépoussiérant un peu le paysage de la bande dessinée franco-belge. Lui prêtant un petit accent This is US. Comme c’était déjà le cas dans son deuxième album, Les Fidèles est une symphonie coupée, bercée d’interludes. Un peu de pop culture américaine donne aux lecteurs, ça et là, congé du récit. Dans Aaron, c’étaient les super-héros qui s’invitaient dans le portrait misérable d’un homme en proie à ses désirs pédophiles. Ici, ce sont les jeux vidéos qui détournent les aventures de ces petits brigands. Ces coupures pêchées directement dans l’industrie du divertissement de masse, donnent un drôle d’air à ce récit tout en patience. C’est inattendu. Subversif, Les Fidèles n’hésite pas à bousculer les codes. Ses cases deviennent tour à tour les pièces d’une maison, les chemins de campagne ou l’enclos des chevaux. Elles ne sont plus forcément carrées. Ben Gijsemans connaît la formule pour les changer en objets, sans perturber le récit. Tel un magicien de l’image, il s’amuse. Il dupe notre regard. Il trahit nos habitudes, nous forçant à emprunter de nouveaux chemins de lecture.