Versus : l’évolution ou l’improvisation 2.0

La ligue d’improvisation professionnelle (LIP) propose un concept d’improvisation théâtrale quelque peu différent de ce que le public belge à l’occasion de voir lors d’un match classique : le versus. Ici point de match, ni d’esprit de compétition, pas de manque d’écoute, ni de faute de cabotinage… Dans le versus, c’est toute l’équipe qui vous emmène ensemble vers un but commun : construire la plus merveilleuse des histoires tout en  ignorant tout d’elle avant d’entrer sur scène.

A cette occasion, nous avons eu le plaisir de discuter de ce nouveau concept, de l’évolution de l’improvisation et de la situation de celle-ci dans d’autres pays avec deux acteurs.

Noémi Knecht, comédienne et improvisatrice professionnelle et membre de la LIP depuis 3 ans et membre du comité artistique de la LIP.

David Macaluso, fondateur de la LIP, comédien professionnel et improvisateur.


D’où vient l’idée de faire de l’improvisation théâtrale quand on est déjà comédien ?

D.M. Dans la formation de comédien, il y a déjà énormément d’exercices d’improvisation qui sont utilisés. Mon premier professeur de théâtre, quand on avait appris le texte nous disait d’oublier celui-ci et d’improviser, afin de voir ce qu’on avait retenu du personnage, ce qui sortait avec nos propres mots. En outre, les premières pièces de théâtre étaient également improvisées. C’est donc selon moi un outil que l’on utilise tout le temps en tant que comédien professionnel.

Un comédien qui avait fait beaucoup d’improvisation faisait le parallèle avec un musicien de jazz, qui a la base classique, qui va jouer des morceaux de nombreuses fois et les triturer dans tous les sens, et qui, grâce à cela, pourra improviser du jazz car il aura la technique du jeu. C’est donc une continuité et en même temps un outil du théâtre.

 N.K J’ai commencé par l’improvisation théâtrale via les matchs, qui sont la forme que l’on retrouve le plus souvent en Francophonie, pour évoluer de plus en plus vers des spectacles improvisés non compétitifs. Pour moi ce qui est  important et précieux dans l’impro, c’est que ça pousse un peu au paroxysme de ce que l’on recherche souvent au théâtre, à savoir  la présence absolue dans le présent, dans l’instantané du moment et l’improvisation théâtrale nous pousse forcément à cela. A chaque instant, on se retrouve dans une réalité face aux spectateurs, unis dans un pacte, leur faisant croire que l’on joue en sachant ce qu’on va faire alors que l’on ne sait justement pas. Cela demande un gros travail en amont pour être toujours dans cette réalité et cette présence. C’est cela que l’on offre aux spectateurs qui je pense est plaisant et précieux.

Que pensez-vous offrir de plus, ou de différent, aux spectateurs, grâce au concept du versus par rapport à un match d’improvisation ?

D.M. Le match est un concept génial en soi, mais il amène les défauts de ses qualités. Inconsciemment et indéniablement, le jouteur aura le réflexe de faire la bonne blague, de ramener le point, et ce même si l’improvisation s’était bien déroulée auparavant. A un moment, les différents fondateurs de la LIP ont eu une réflexion par rapport à cela et ont eu l’idée de s’éloigner du concept de match, tout en continuant à faire de l’improvisation avec un nombre conséquent d’acteurs (8 ou 9).

Grâce à cette nouvelle forme, le plus, que l’on espère apporter aux spectateurs, c’est du jeu sincère, c.-à-d., de  ne pas tomber dans la caricature pour amener la blague ou la chute, pour remporter le point, qui d’ailleurs, n’existe pas chez nous. Cette configuration nouvelle nous ferme certaines portes faciles mais nous en ouvrent d’autres qui permettent de construire, de jouer et d’avoir des relations plus profondes.

Quand je jouais en match, j’ai vécu des entrainements magnifiques, des moments que je n’ai jamais retrouvé par la suite en match, car on avait l’impression que l’on ne pouvait pas faire ça, que le public n’était pas prêt. Par contre, depuis que je suis à la LIP, je retrouve ça très souvent. Il y a des choses magnifiques que l’on vit à l’entraînement et que l’on retrouve en match, certes, pas à chaque fois, mais néanmoins très souvent.

N.K. Le match d’improvisation compétitif est quelque chose qui est relativement unique et très propre à la Francophonie. Dans le monde anglo-saxon, c’est qqch qu’on ne retrouve pas ; c’est un concept qui, lorsqu’il est expliqué, laisse les acteurs dubitatifs. Le match est très ludique et présente beaucoup de qualités, mais le fait de pouvoir se dire que l’on joue tous au service du spectacle, cela offre une excitation complètement autre et cela renforce cet effet de troupe. Nettoyer de tout l’aspect compétitif, l’impro peut gagner en finesse et aller chercher sur d’autres registres. De plus, et contrairement au match classique où l’autre équipe ne partage pas toujours le même univers créatif que nous, ici, on travaille avec des partenaires en qui on peut avoir confiance, avec qui on partage des complémentarités et sur lequel on peut se reposer pour bâtir le spectacle et l’amener là où on le désire.

D.M En plus du concept de versus, nous avons également imaginé des spectacles où l’on introduit une dose de compétition, mais où la base reste la coopération. Pour nous, il est important que l’aspect compétitif ne soit qu’une option.

Pensez-vous que les gens soient habitués à cet esprit compétitif dans l’improvisation ?

N.K. C’est fort associé à l’improvisation, et il y a qqch à faire autour de l’éducation du public, en tout cas leur faire percevoir qu’il y a d’autres options dans l’improvisation. En général, les spectateurs qui viennent nous voir sont très heureux de découvrir un autre aspect de l’improvisation.

Comment sont choisis les thèmes du versus ?

N.K. Ce ne sont pas des thèmes, mais plutôt des défis que l’on propose aux comédiens sur la structure du spectacle. Une commission artistique de cinq personnes choisit les contraintes ou les défis par rapport à ce que l’on aimerait voir pouvoir exister sur scène. Les critères peuvent être d’ordre thématique, mais on peut aussi mettre une contrainte comme un « effet papillon » où l’on sait que ce qui se passe dans une scène aura un effet, même minime, sur les tableaux suivants. Comme nous sommes tous comédiens professionnels, cela s’inspire de choses qui existent en littérature, au cinéma, au théâtre, …

Pratiquant l’improvisation théâtrale depuis un certain temps, avez-vous peur de vous répéter ?

N.K. Parfois, on sort de scène et on a l’impression de toujours jouer les mêmes rôles, mais on a tous notre garde-fou interne qui nous dit de nous mettre un challenge en plus, d’aller dans d’autres univers. De plus comme c’est un art qui se nourrit de nos expériences, plus on lit, plus on vit, plus on voit des choses, plus notre monde intérieur se charge, et plus on aura de matière à apporter sur scène. D’autre part, nous avons une plus grande liberté que ce que l’on pourrait nous proposer au théâtre. Chacun, que ce soit dans le théâtre classique ou moderne, est cantonné dans des rôles définis par son âge, son sexe et son apparence. Dans l’improvisation, je peux avoir cette liberté qui fait que si je décide de jouer une routière de 65 ans, si ça m’amuse, j’ai le droit de le faire. Ça permet aussi d’aller visiter d’autres univers que l’on ne nous proposerait pas et c’est une des choses qui me stimule dans l’improvisation.

D.M. Je m’inscris totalement dans ce que tu dis et voudrais rajouter pour répondre à la question de base, que je n’ai pas peur de me répéter sur le long terme mais bien dans la même soirée. Chaque comédien se nourrit de ses univers et parfois dans la soirée, on est dans un état, on a des histoires en tête, et là, parfois, j’ai un danger de répétition, mais bien évidemment, nous ne sommes pas seuls, d’où l’importance de travailler en équipe.

Dans les autres pays francophones, reste-t-on encore cantonné au concept de match classique ou voit-on une évolution vers d’autres formes d’improvisation comme le versus ?

N.K.  En Suisse, l’improvisation est à présent proposée dans des théâtres institutionnalisés, ce qui permet de concevoir l’improvisation comme une création théâtrale, avec des périodes de répétition puis une exploitation de plusieurs semaines de concepts d’improvisation longue. On peut assister à des spectacles de Shakespeare improvisé, d’autres spectacles comme « Casting », basé sur l’univers cinématographique tournent depuis 25 ans maintenant…

Beaucoup d’acteurs sont curieux par rapport à ce qui se passe à l’international. C’est une démarche que j’ai également entreprise. L’année passée, je suis allée me former à Chicago, comprendre ce qui se déroule dans le milieu anglo-saxon. Ils ont évolué vers d’autres concepts d’improvisation, ils ont des spectacles de troupe basés sur un concept phare là-bas qui s’appelle le « Harold ». Si on prend la peine de parler anglais et de se rendre dans des festivals d’impro internationaux, on voit qu’il y a une multitude de façons de l’aborder, qui se rapprochent plus de ce qu’on fait ici à la LIP, à savoir un spectacle de troupe, non compétitif, juxtaposant différents tableaux afin de donner un sentiment d’ensemble au spectacle.

En Belgique, on peine encore à reconnaître l’improvisation comme un art à part entière et non une sous-classe du théâtre. C’est vers cette reconnaissance que l’on tend, en proposant des spectacles de qualité avec des comédiens et improvisateurs professionnels, qui s’ancrent dans une démarche artistique et pas uniquement dans le but de gagner ou d’obtenir une reconnaissance personnelle.

 D.M. C’est schizophrénique car l’improvisation est connue en Belgique par le match mais est dénigrée à cause du match, même si on peut y vivre de beaux moments. La communauté française dans son dernier rapport rapproche l’improvisation du sport.

Que pensez-vous de l’utilisation de l’improvisation dans le monde professionnel ?

D.M. C’est un concept génial. En découvrant les valeurs et les réflexes d’écoute, de prise en compte de ce qui se passe, de transformation de l’information véhiculés par l’improvisation, je me suis dit que non seulement tous les comédiens devraient passer par l’improvisation, mais aussi toutes personnes en général devraient en faire. Je suis donc à 2000% pour cette démarche.

N.K.  Quand on entend des conseils donnés aux improvisateurs, on réalise que ceux-ci peuvent s’appliquer à tout le monde et que ce sont des conseils de vie tels qu’écouter vraiment quelqu’un, voir ce que cela nous fait, établir un lien entre des personnages. Tout cela est également valable dans la vie de l’entreprise ou la vie courante. Il m’est arrivé d’être sur un plateau de théâtre et réaliser qu’il n’y a plus de vie sur scène car les gens ne s’écoutent plus, tout simplement.

D.M. Un spectacle d’impro qui se crée et qui fonctionne, c’est parce que ces valeurs-là sont respectées. Lorsque le contraire arrive, que l’écoute est moins bonne, on voit immédiatement le grain de sable dans la mécanique.

N.K. Je donne beaucoup de coaching à des amateurs et ça me donne une énergie folle car j’ai l’impression de rencontrer des humains, qui sont en train de devenir de meilleurs humains, grâce à ce processus et c’est extrêmement beau et encourageant.


Informations pratiques :

  • Quand ? Les lundis 3, 10 et 17 décembre
  • Où ? Théâtre Lumen, Chaussée de Boondael 36, 1050 Ixelles
  • Prix ? 16€ (tarif plein), 11€ (tarif réduit pour les étudiants, les comédiens et les groupes (10)), gratuit pour les étudiants en art
  • Site : http://impro-lip.be/versus_defis/