Titre : Tout Rien Quelqu’un
Auteur.ice.s : Alice Carrière
Edition: Flammarion
Date de parution : 16 avril 2025
Genre du livre : Autobiographie
Dans son premier roman Tout, Rien, Quelqu’un, Alice Carrière raconte son enfance qui est loin de ressembler au pays des merveilles. Son histoire prend la forme d’un conte moderne et sombre qu’elle livre sans concessions dans une plume envoutante.
Au demeurant, le premier livre de Alice Carrière n’avait rien pour nous convaincre. Un titre qui prend la forme d’un vague concept de développement personnel en trois phases. Une quatrième de couverture introduisant l’habituel scénario autobiographique d’une enfance dépressive dans le milieu artistico-bourgeois new-yorkais. Cette complainte du privilège qui nous laisse comme un air de déjà vu. Et pourtant, dès les premières pages, alors qu’elle ouvre son récit sur l’aménagement particulier de sa maison d’enfance – ancienne usine réaffectée en logement loftien – Alice Carrière nous prouve que le vieil adage selon lequel il ne faut pas juger un livre par sa couverture est vrai.
Alors que les autres enfants craignent les monstres nocturnes, la petite Alice, dont le lit se trouve directement en dessous de la piscine privée de sa mère, s’endort tous les soirs avec la peur rationnelle de mourir noyée. Mais Alice n’est pas comme les autres gamins de son âge. Alice est la fille de Matthieu Carrière, un acteur franco-allemand irresponsable, et Jennifer Bartlett, une peintre au rouge à lèvre mal appliqué, qui consacre chaque minute de son existence à son art. Si Jennifer est incapable de témoigner une once d’affection à sa fille, Matthieu exprime la sienne de manière inappropriée. Dans la première partie, Tout, consacrée à son enfance, Alice rapporte les propos provocateurs de ce père qui soutient la pétition de Matzneff en faveur de la liberté sexuelle des mineurs et clame à qui veut l’entendre que le fantasme de toute petite fille est de coucher avec son géniteur.
Dans un contexte peu propice au bon développement de l’enfant, rythmé par les sévices psychologiques et bercée par la visite de personnalités du monde artistique comme Patti Smith ou encore Anna Wintour, Alice doit trouver ses marques. Ce qui n’est pas chose facile. Et cela devient même impossible quand le divorce pointe le bout de son nez, rendant ses parents déjà inaptes encore plus défectueux. S’ensuit le Rien. Une période pendant laquelle Alice, qui se scarifie, est bourrée de médicaments dont chaque nouvelle prescription sert à enrayer les effets secondaires des précédents. Si Alice est amortie par les anxiolytiques, on lui impose des stimulants. Mais si ces derniers accentuent les sauts émotionnels de la jeune fille, on a recours à des traitements qui pourraient la calmer. Alice est marginalisée. En proie à des délires psychotiques qu’il convient toujours de soigner chimiquement. Mais malgré la situation qui semble sans issue, l’espoir est peut-être permis. Comme le lecteur avisé peut le déduire, le Quelqu’un conclut le récit par la reconstruction.
Alice Carrière tranche sa vie. Elle la découpe en trois morceaux bien distincts qu’elle rapporte avec la précision d’un boucher. L’autrice en choisit les bouts qui méritent d’être montrés. Elle ne s’épanche pas. Tout Rien Quelqu’un ne donne pas l’impression au lecteur d’être une œuvre cathartique. Il se lit comme un récit de vie captivant, sans être misérabilisant, qui est à la fois une critique de la surmédicamentation et une ode au pardon. Le but de l’autrice n’est d’ailleurs pas d’afficher ses parents, de les acculer de reproches, mais de montrer qu’ils sont pleinement humains, dans leurs défauts et leurs faiblesses. À l’adresse de sa fille, Jennifer avait compilé dans un journal sobrement appelé Univers, les événements marquants de son existence. Jennifer est la matière première qui a modelé Alice. Celle qui l’a fait naître. Mais l’univers peut se montrer sévère. Imparfait. Et pourtant absolu.