Tous les vivants : Esquisse de la fragilité

Scénario : Roman Muradov
Dessin : Roman Muradov
Éditeur : Dargaud
Sortie : 20 janvier 2023
Genre : Roman graphique

On dit souvent qu’à la loterie de la vie, on ne naît pas tous égaux. Mais ce qu’on ne dit pas, c’est que celle de la mort est tout aussi impitoyable. Et parfois même ironique. Elle s’était pendue dans sa douche mais, après avoir pioché le numéro gagnant aux portes de l’enfer, elle fut renvoyée illico presto dans ce monde qu’elle avait voulu fuir. Entre temps, un fantôme, son âme de défunte en quelque sorte, s’était installé chez elle. Avec cette alter-égo bienveillante, elle va apprendre, dans la douceur et le silence, que même le quotidien le plus morne connaît une part de lumière.

Un visuel singulier

De prime abord, on ne peut s’empêcher de contempler l’album avec perplexité. La singularité de son visuel, et l’extrême simplicité dont il s’habille à certains endroits, ne pourrait pas coller avec tous les récits. Le graphisme est protéiforme, alliant le trait à un patchwork de motifs divers, le tout traversé par une palette de couleurs ternies. Le dessin est hachuré, presque tranchant. À certains endroits, on dirait que l’encre gratte le papier au lieu de s’y déposer, que la plume transperce l’image. Et pourtant, avec ce récit ça fonctionne. Le mariage improbable de la sobriété et de l’expressivité rappelle ce qu’il y a, à la fois de plus triste, mais aussi de plus surprenant dans le quotidien de cette jeune femme sans nom qui traverse la vie comme une ombre.

Tous les vivants se découvre rapidement, comme un très court voyage. Une escale au pays des invisibles. Des personnages anonymes, et pourtant si particuliers, circulent à travers l’histoire. On pense notamment à l’un des gardiens du royaume de l’au-delà dont le rêve est de pouvoir fabriquer un récipient à deux anses mais aussi au bibliothécaire malheureux à la tête gonflée comme un ballon de baudruche. Toutes ces âmes s’approprient le récit et l’enrichissent grâce à des dialogues drôlement bien écrits. Bref c’est un ouvrage à la fois fragile et fascinant dont les seuls défauts sont, peut-être, le manque de lisibilité de certains dessins ainsi que la typographie numérique qui jure un peu avec l’expressivité du trait. Mais dans l’ensemble, c’est une très belle ballade qui se fait dans le silence et qui laisse sans voix.