Cinq ans après son deuxième album solo Room, Thomas Medard, alias The Feather, revient avec BB, un disque court (34 minutes, 10 titres) mais dense.
Si ce nouveau chapitre a mis du temps à éclore, c’est un simple message Instagram qui a tout déclenché : celui de Chris Taylor (Grizzly Bear), producteur new-yorkais culte, qui lançait un appel à démos. Deux morceaux plus tard, le projet prend vit dans un studio à Barcelone. L’album est portée par une écriture plus frontale, un « je » plus assumé.
Rencontre avec The Feather.

Qu’est-ce que ce projet solo te permet d’exprimer que Dan San ne permettait pas
Ce projet me permet d’aller beaucoup plus loin dans l’intimité. Avec Dan San, j’utilise plus de métaphores, des sujets plus généraux, universels, sans parler directement de moi. Alors que dans The Feather, je parle à la première personne, de manière très directe. C’est la première fois, par exemple, que j’écris des chansons pour ma fille. Elle a huit ans, et ce projet est très personnel.
Et dans ce cadre plus direct, comment tu fais pour raccrocher le public ? Pour que l’auditeur n’ait pas l’impression d’être trop éloigné de ce que tu racontes ? Franchement, je ne sais pas trop, faudrait presque poser la question aux gens qui écoutent. Mais en tant qu’auditeur, moi, je sais que quand quelqu’un me raconte une vraie histoire, quelque chose de personnel, ça me touche plus que les chansons très générales. Par exemple, j’ai écouté récemment un morceau de Yoa, 2013, où elle parle de sa préadolescence et de son vécu. C’est super intime, très « je », et justement, c’est ça qui me touche encore plus. J’ai l’impression que ce type de récit peut aussi parler à plein de gens, un peu comme quand tu écoutes un épisode du podcast Transfert. Pour ceux qui ne connaissent pas c’est quelqu’un raconte une tranche de vie très personnelle, parfois complètement inattendue et toi, en tant qu’auditeur, tu rentres à fond dans l’intimité de la personne. Tu t’identifies, tu projettes, tu te dis : « Ah ouais, ce genre de truc, je l’ai déjà perçu chez quelqu’un », et ça devient super fort, psychologiquement. C’est ce genre de lien que j’aime bien créer dans mes chansons.
Entre ton deuxième album solo Room et BB tu as aussi travaillé sur d’autres projets avec ton groupe. Comment fais-tu pour ne pas te perdre entre les deux?
C’est vrai qu’on peut facilement se perdre. Parfois, j’écris une chanson en pensant qu’elle est pour mon projet solo, et finalement, elle finit dans le répertoire de Dan San. C’est une question d’ambiance, de timing, d’arrangements… Il peut y avoir des similitudes mélodiques, mais les chansons prennent des directions complètement différentes grâce au travail collectif. Mais à d’autres moments, certaines idées peuvent aller à Dan San, surtout quand il manque on pense qu’il nous manque une chanson dans un certain style. Il y a aussi une différence dans le processus : en solo, j’écris quelque chose dont je suis très satisfait, que je ne veux pas modifier ; en groupe, c’est beaucoup plus de va-et-vient, un vrai ping-pong créatif.
Dans d’autres interviews tu parles de “tranches de vie”. Est-ce que tu considères que ton album pourrait être une bande-son de film de type « coming-of-age » ?
Oui, à fond. J’ai une amie, qui chante sur l’album et sur la chanson Stereo et m’a dit la même chose. Elle voit certaines chansons comme des BO de séries ou de films Netflix. Et c’est vrai qu’il y a cette ambiance de récit intime, de moments de vie.
“Il y a une continuité avec les disques précédents, mais celui-ci est plus lumineux.”
Est-ce que tu as l’impression, avec cet album, d’avoir franchi une étape ?
Oui, clairement. Musicalement, il y a une continuité avec les disques précédents, mais celui-ci est plus lumineux. Les premiers étaient plus mélancoliques, calmes. Sur Room, j’avais déjà commencé à explorer des morceaux un peu plus rythmés comme Stay Up ou Sister. Ici, j’ai vraiment poussé les curseurs de la pop tout en gardant mon ADN musical. Ce disque c’est le passage d’un état à un autre.

BB, tu dis que c’est le titre central du projet. Est-ce que tu peux m’expliquer en quoi c’est le point de départ de l’album ?
En fait, BB est une chanson, mais il y en a une autre version, acoustique, avec un texte différent, qui sortira plus tard. Celle-là parle de ma fille, alors que la version sur l’album parle de ma compagne. Et c’est justement ça le cœur de l’album : les relations, et en particulier celles avec ma compagne et ma fille. C’est un peu le ciment du disque. Le mot BB, c’est à la fois ce cliché un peu kitsch qu’on associe à l’amour, et puis littéralement l’enfant. Ces deux dimensions sont au centre du projet.
Il y a un petit clin d’œil sur la pochette : on y voit 11 pins, alors qu’il n’y a que 10 morceaux sur l’album.
Tu as collaboré avec des musiciens assez réputés pour ce projet. Comment as-tu choisi tes collaborateurs ?
Tout a commencé avec Chris Taylor. J’avais déjà essayé de le contacter par le passé sans succès. Là, c’est lui qui m’a proposé de bosser ensemble. Il m’a ouvert son carnet d’adresses : Thomas Hedlund le live drummer de Phoenix, le batteur de Whiplash, des gens qui ont bossé avec Solange ou David Bowie. Ce sont ses amis, ils savaient que c’était un projet indé, donc ils ont accepté de collaborer à prix très doux. C’était incroyable.
Tu as ressenti un syndrome de l’imposteur en bossant avec eux ?
Oui, totalement. Il y a même une chanson dans l’album qui parle de ça. Mais c’est Chris qui m’a donné confiance. À la fin, il m’a dit que c’était un de ses disques préférés parmi tous ceux qu’il avait faits. Quand quelqu’un que tu admires autant te dit ça, forcément, ça t’élève.
Le single BB :