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    The End et les vrais dangers du faux

    Et quand un film est plus une réflexion. Non, Oppenheimer n’est pas que le nom d’un blockbuster ayant tout raflé, tirant son titre d’un scientifique ayant aidé à tout détruire. C’est aussi le nom d’un réalisateur, un documentariste finalement peu connu, dont la duologie sur les massacres de communistes indonésiens de 1965 a pourtant été acclamée à travers le monde, allant jusqu’à lui offrir une nomination à l’Oscar du meilleur film documentaire en 2016. Voilà qu’à cinquante printemps et dix ans après sa dernière réalisation, Joshua Oppenheimer se lance dans le long-métrage de fiction avec The End.

    On se doute déjà en lisant ces premières lignes que le film n’entrera pas dans la catégorie des gros budgets consensuels qui sortent chaque semaine. Et pour cause. Premier élément, pour financer son long-métrage, Oppenheimer a créé une coproduction entre sept pays. Preuve s’il en fallait une nouvelle que quelque chose de peu commun entoure le film. Réalisateur engagé, il pose son long-métrage dans un contexte post-apocalyptique où la société s’est effondrée suite à de multiples crises écologico-politiques dont nous ne verrons aucune image. Et si nous ne voyons rien de ce monde c’est parce que la totalité du film se passe dans une espèce d’immense abri antiatomique, au sein de la famille d’un ancien patron de multinationale.

    Et le contraste est saisissant entre la douceur du quotidien de cette famille et la réalité qui nous est contée par celle qui est l’élément déclencheur : une femme tombée par hasard sur ce havre de paix. Un premier discours peut alors être lu, un réquisitoire contre cette élite responsable de la déplorable marche du monde et se cachant des conséquences des choses qu’elles ont elles-mêmes causées. On comprend cette extrême méfiance envers « l’étranger », qui semble vouloir déstabiliser notre quotidien, profiter de nos ressources, lorsque cette femme arrive dans leur vie. On peut évidemment voir la critique d’une élite qui privatise tout, monopolise les biens et les richesses tout en « se protégeant » de celles et ceux n’ayant pas eu la chance de faire partie de leur monde.

    Mais il y a quelque chose en plus à aller chercher dans The End. Un discours sur le faux. Parce que, dans The End, tout est faux. Il y a un premier mensonge dans la matérialité des choses, la lumière du jour créée de toute pièce, les fleurs faites de papier, ces grottes de sel comme de la fausse neige. Mais il y a surtout celui qu’on ne peut pas toucher, comme ces moments de comédie musicale qui ne peuvent pas être ancrés dans le réel, comme ce film de fiction là où son réalisateur n’avait fait que du documentaire jusqu’à présent.

    Alors toutes ces variations sur le faux pourquoi ? Sûrement pour parler de la création de ce qu’on nomme la post-vérité. Ce monde politico-médiatique dans lequel nous vivons qui crée des discours de toute pièce soit pour éluder les réels enjeux sociétaux soit pour accaparer le pouvoir en se rendant la seule solution à des problèmes qui n’existent pas. L’histoire est écrite par les vainqueurs, et c’est exactement ce que l’on voit dans le film. En effet, le père de famille, ancien industriel, commande l’écriture de sa biographie à son fils, texte que l’auteur ne base évidemment que sur les dires de son aîné. Empreint de climatoscepticisme et répétant encore et encore que son activité n’avait pour but que le bien de tous et qu’elle était nécessaire, il n’y a que quelques moments du film où la rhétorique du père fait face à une opposition dans laquelle on décèle une réalité beaucoup plus sombre.

    En définitive, dans un monde où l’apaisement paraît impossible et la crise inéluctable, The End s’essaye à décrire ce que pourrait devenir l’humanité si les choses continuent ainsi. Une voie dont personne ne veut, ni les faiseurs de discours, ni ceux qui les écoutent. Une voie qui a perdu tout ce qui pouvait faire société. Une voie qui a aboli son rapport au réel. Car ce n’est pas pour rien si la bande-annonce officielle se termine par « None of it is true ».

    Alan Santi
    Alan Santi
    Responsable jeux de société

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    The EndRéalisateur : Joshua OppenheimerGenre : Comédie musicaleActeurs et actrices : Tilda Swinton, George MacKay, Moses IngramNationalités : Danemark, Irlande, Allemagne, U.S.A., Italie, Grande-Bretagne, SuèdeDate de sortie : 8 octobre 2025 Et quand un film est plus une réflexion. Non, Oppenheimer n’est pas que le...The End et les vrais dangers du faux