Le temps des hyènes de Carlo Lucarelli

auteur: Carlo Lucarelli
édition: Métailié
sortie: février 2018
genre: polar

Après La huitième vibration (2010) et Albergo Italia (2014), Carlo Lucarelli signe son troisième polar colonial. Le temps des hyènes se déroule en effet au temps de la colonia Eritrea, soit la colonie italienne en Erythrée au XIXe et XXe siècle.

Lorsqu’un, puis deux ouvriers agricoles du marquis Sperandio sont retrouvés pendus à la plus haute branche du sycomore d’Afelba, peu de cas est fait du suicide de ces indigènes. Mais il en va tout autrement quand c’est le corps du marquis Sperandio lui-même que l’on découvre pendu. Le capitaine des carabiniers royaux Colaprico et son adjoint abyssin Ogbà se rendent sur place afin de polir chaque pièce de la mosaïque qui expliquera cette épidémie de suicides.

Le temps des hyènes suit la structure classique d’un livre policier avec ses morts suspectes et son enquête. Pourtant, cette dernière ne devient intéressante qu’au tiers du livre et si sa conclusion est complexe et satisfaisante, elle n’est pas le point fort du roman. Ce qui fait la différence est le ton pince-sans-rire de l’auteur et son écriture « multiculturelle ».

Carlo Lucarelli entretient une distance légèrement sarcastique avec ses personnages, particulièrement avec le capitaine Colaprico, qui se heurte souvent à des éléments contraires, ou qui arrive systématiquement à ses conclusions après Ogbà. Ce dernier, peu prolixe, mais observateur perspicace incarne la dualité de la colonisation. Il est fier et heureux d’être un carabinier, car il trimait pour des récoltes de misère en tant que paysan, mais à chaque minute de sa vie il sait qu’il est colonisé*. Le capitaine Colaprico et Ogbà forment un couple à la Sherlock et Watson, sans que l’on sache toujours qui est qui… Mais tous deux savent que « kem fulut neghèr zeybahriawì yelèn », il n’y a rien de plus trompeur que l’évidence, surtout dans cette affaire.

L’écriture est riche, quoique potentiellement fastidieuse, car elle contient beaucoup de mots en italien et en tigrigna. Ce qui semble au départ alourdir la lecture s’avère pourtant donner beaucoup de caractère à l’histoire et aux personnages. L’accent des personnages italiens est également souvent qualifié selon leur région d’origine : « la fièvre faisait que l’accent des Pouilles l’emportait sur celui de Milan, en coupant les phrase à une rapidité à lui couper le souffle » (p.116). L’auteur fait aussi un beau clin d’œil à la littérature française puisque Baudelaire est évoqué en tant que trafiquant d’armes.

Enfin, l’intérêt du roman réside aussi dans la reconstruction de l’époque coloniale. À travers l’histoire, l’auteur expose l’arrivisme, le racisme et l’hypocrisie des colons, cette mafia en territoire africain.

En installant son enquête au cœur du monde colonial et en faisant preuve de chaleur et d’humour dans sa façon de raconter, Carlo Lucarelli offre un changement bienvenu par rapport aux sombres et sérieux polars scandinaves qui ont dominé le genre ces dernières années.

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*http://www.repubblica.it/cultura/2015/11/25/news/carlo_lucarelli_racconto_il_grande_noir_dell_italia_coloniale_-128134115/?refresh_ce