Teen Spirit : l’identité fictionnelle rencontre la sphère émotionnelle

Vue de l’exposition Teen Spirit BPS22 (2022) © Emmanuel Van der Auwera © Hernan Bas © Photo : Leslie Artamonow
Vue de l’exposition Teen Spirit BPS22 (2022) © Emmanuel Van der Auwera © Hernan Bas © Photo : Leslie Artamonow

Teen Spirit : Adolescence et art contemporain est une exposition aux orientations artistiques diverses inaugurée le 12 février 2022 par BPS22, le Musée d’art de la Province de Hainaut. Elle tire son inspiration de jeunes adultes capturant des selfies dans l’enceinte du musée, soucieux de leur identité numérique.

« Ton seul ennemi, c’est toi-même, à toi de choisir si tu veux être le plus grand ou celui qui reste dans son lit ».

Cet extrait d’un dialogue entre le photographe Vincent Beeckman et l’un de ces sujets sert de prisme pour aborder cette période où défis et expériences ponctuent le quotidien. Le contrôle de l’image, troublée par les turbulences émotionnelles et physiques, est présenté comme le défi le plus difficile à relever.

Vincen Beeckman © Vincen Beeckman
Vincen Beeckman © Vincen Beeckman

Feu l’enfant

Dès l’entrée au BPS22, un air de House Of The Rising Sun embrase le regard que nous portons sur cet état transitionnel. Le feu est un motif qui revient dans les différentes pièces présentées : cercle de feu aussi dangereux que protecteur (Mohamed Bourouissa), feu de camp au clair de lune (Laura Henno) ou feu d’un soleil idyllique qui interdit à la nuit de tomber (Emmanuel Van Der Auwera). Il rappelle les flammes que l’on allume lors des rituels dans les sociétés non-occidentales, transformant les enfants en adultes en l’espace d’une soirée. Sous forme de brûlure, le feu devient un emblème, comme les marques que l’on impose à son corps pour en tester les limites. Cet emblème peut prendre l’allure d’une lourde chaîne en or avec Thomas Hirschhorn, d’une pratique de sport extrême avec Charlotte Beaudry ou de scarifications avec l’ange déchu de Johan Muyle. Ainsi, ces marques et ces objets sont autant les sceaux d’un esprit torturé que d’une appartenance au groupe.

Branded © Maen Florin © Galerie Nadja Vilenne © Photo : Karin Borghouts (2008)
Branded © Maen Florin © Galerie Nadja Vilenne © Photo : Karin Borghouts (2008)

Identités fictionnelles

Pour redevenir soi-même – selon les termes d’un mineur isolé dans la vidéo Missing Stories – il faut s’inventer, opérant une mise à distance à la fois créative et affective. Au cours du parcours d’exposition, la narration fictive devient un moteur d’évolution interne. On se déguise, on conte une vie qui n’est pas la nôtre, on fabule pour créer une réalité hors de portée. Dans les œuvres, les apparats ne sont pas castrateurs, ils dévoilent au contraire toute l’ambiguïté de ce passage à l’âge adulte et tendent vers une compréhension de soi et du monde plus complète. L’usage du numérique – permettant de créer un double de soi sensible et sophistiqué – étant plus que jamais dilué dans notre quotidien, nos avatars évoluent en synchronie avec nos utopies. Un phénomène que l’on observe dans l’inquiétante vidéo de Van Der Auwera.

Missing Stories © Laura Henno (2014)
Missing Stories © Laura Henno (2014)

Double numérique et pulsion de mort

À l’ère du transhumanisme, un mouvement évoqué par les inquiétantes poupées de Maen Florin qui postule que les capacités physiques et intellectuelles de l’être humain peuvent être considérablement accrues grâce aux nouvelles technologies, les adolescents développent une double identité numérique. Elle peut être ludique, provocatrice, mais également morbide comme le montre le suicide en live de Katlyn Nicole Davis, dont les avatars débâtent les causes au 2e étage du musée. Entre fiction et réalité, les frontières sont fines et dessinent les contours complexes d’un passage aussi commun qu’impénétrable. La photographie Sonia (2016) d’Estelle Czernichowski, dont la pâleur du visage est accentuée par la luminosité de l’écran, prend tout son sens si on la compare à une Virgin Suicide moderne. Pulsion de vie et pulsion de mort se confrontent dans un bouillonnement visuel hétérogène où la technologie occupe une grande place.

Sonia © Estelle Czernichowski Lauriol (2016)
Sonia © Estelle Czernichowski Lauriol (2016)

Une ode à la vie

Teen Spirit  évoque les maîtres classiques de l’univers adolescent, Larry Clark, Gus Van San ou encore Jonah Hill. Pour les protagonistes de leurs films, mieux vaut mourir que dormir pour faire de sa vie un rêve. La nostalgie que l’on peut déceler dans le style vestimentaire, les prises de vue photographiques à l’effet rétro ou les séquences filmiques où de jeunes motorisés errant dans des non-lieux évoque l’American Dream. L’adolescence se veut aussi borderline que glamour. La diversité des propositions artistiques – que l’espace scénographique aérée nous permet d’analyser une à une –  laisse au visiteur un choix d’interprétation vaste, loin de la binarité cartésienne. Il n’y a pas une adolescence mais une multitude de subjectivités qui ne demandent qu’à s’affirmer. Est-on face à un appel à l’aide, qui peut se lire dans la vidéo como salimos ou la vanité Delivroo de Sander Breure, qui sonne comme un “délivrez-nous” – ou face à une ode à la liberté, symbolisée par la voiture et les airs des années 1970 ?  C’est toute l’intangibilité de ce cri que tente de saisir sa mise en art.

Infos pratiques

  • Où ? BPS22, Musée d’art de la Province de Hainaut, Boulevard Solvay 22, 6000 Charleroi.
  • Quand ? Du 12 février 2022 au 5 mai 2022, du mardi au dimanche de 10h à 18h.
  • Combien ? 6 EUR. Plusieurs tarifs réduits.