Système politique et amour sombre avec « De Grandes Espérances »

De Grandes Espérances
de Sylvain Desclous
Drame
Avec Rebecca Marder, Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot
Sorti le 22 mars 2023

La Corse et ses eaux bleues transparentes posent les prémices d’un décor estival. Antoine et Madeleine sont amoureux, ça se voit, les proches de ce dernier sont ravis de les accueillir dans la maison luxueuse qu’il loue chaque année. Les conversations sont des débats, car chaque membre de ce groupe à une position politique tranchée. Le sens de la démarcation sociale se fait sentir dès le début, ainsi que les paraboles de l’extrême gauche fougueuse et de la droite raisonnée.

Un petit chemin terreux conduit le couple vers le drame de leur existence. Les Corses et les clichés qui les accompagnent entrent en scène quand leur voiture double agressivement celle d’un local armé : son honneur entaché et la fière vendetta qui anime le chauffeur le poussent à agresser le pédant Antoine. Se saisissant du fusil pour défendre son conjoint avec une dextérité surprenante, Madeleine vise l’attaquant au torse sans lui laisser le choix de la blessure ou de la mort. L’étudiant, en enfant gâté couard, a peur de se rendre à la Police. C’est cette même peur qui le fera manquer le concours de l’ENA et fuir son pays pour la Chine, laissant derrière lui Madeleine. Si l’arme s’est enfoncée fluidement dans la terre, l’incident se terrera avec beaucoup plus de difficulté.

Ce basculement dans la mort fait entrer la romance dans un brûlot politique et psychique où l’histoire d’amour pourrit doucement, comme un cadavre. L’agencement des espaces se construit selon la posture tendue des personnages et se calque sur le rythme soutenu du thriller. Leur idéologie bercée d’un honneur infaillible, les pousse hors des sentiers battus, vers des routes plus sombres, et leur enseigne ce que n’aurait pu leur enseigner l’ENA, école des élites pour laquelle ils ont le niveau pour étudier. Le film, dont le script manque parfois de finesse, est rattrapé par la subtilité du jeu d’acteur : Benjamin Lavernhe se trouve très bien en fils de, imbus de lui-même, l’égo et le cœur mis à mal il va loin dans la mesquinerie. Rebecca Marder sert un personnage complexe qui montre ses qualités d’interprète, élégante et convaincante dans l’insoumission ; au début point médiateur par son appartenance à la classe populaire, ce point se fait vacillant lorsqu’elle exprime insidieusement sa condescendance de classe à l’égard de son père qui pourrait également représenter l’affranchissement au patriarche qu’Antoine n’a jamais pu exécuter. Emmanuelle Bercot est parfaite en féroce femme politique qui s’attache à Madeleine pour son esprit révolutionnaire, mais s’en méfie également. La méfiance guide les actes de chacun tout au long du récit, car c’est le saut marquant de la vie politique.

Peut-on prétendre sauver le monde quand on a les mains sales ? Se questionne Sylvain Desclous construisant des scènes et des personnalités obliques qui obligent le spectateur à analyser la situation sous différents angles.  Seule la violence aide où la violence règne et ainsi le pharisaïsme diplomatique déteint sur les belles espérances des protagonistes.