Titre : Subvertir le male gaze, littérature pour les deux moitiés du monde
Auteur.ice : Azélie Fayolle
Edition : Divergences
Date de parution : 02 octobre 2025
Genre du livre : Essai
Apparu pour la première fois en 1975, sous la plume de Laura Mulvey, le male gaze s’est imposé comme référent pour une lecture féministe et militante de la culture visuelle, et plus particulièrement cinématographique. Et même si c’est encore en lien avec l’image que ce terme est majoritairement employé, il peut tout à fait s’adapter à d’autres médiums narratifs. C’est d’ailleurs ce que prouve Azélie Fayolle dans son livre Subvertir le male gaze, littérature pour les deux moitiés du monde.
Le male gaze, mal traduit en français par « le regard masculin », correspond à une vision du monde qui impose une image sexualisée et objectifiée de la femme, renforcée notamment par la manière de filmer les corps au cinéma. Cet asservissement du féminin, on le retrouve également dans la littérature, même s’il n’y est pas à proprement question de regard – puisque sa forme visuelle n’existe que dans l’imagination du lecteur. C’est en tout cas le point de vue que défend Subvertir le male gaze qui se divise en deux chapitres serrés, assez denses.
Le premier chapitre est consacré à la forme que prend ce male gaze en littérature. Cette vision du monde, issue de la culture dominante, naît bien sûr d’une lecture tronquée et assujetissante de la sexualité de la femme, légitimant à certains endroits la culture du viol. La femme décomplexée devient, dans cette configuration, coupable du désir lubrique de l’homme. Elle est consentante. Et pire fautive, comme l’illustre la célèbre Nana de Zola.
Mais Azélie Fayolle nous montre que ce n’est pas le seul mode opératoire du male gaze. Le male gaze se construit aussi notamment sur le refus de nommer les violences ou encore sur leur euphémisation. L’usage de références animales ou encore la tournure humoristique du récit sont également des manières de légitimer les rapports de force dont se nourrit le male gaze. Le propos d’Azélie Fayolle est édifiant, mais on lui regrette son manque de modernité. Pourquoi se baser principalement sur des auteurs d’une autre époque, comme Zola et Choderlos de Laclos, quand l’analyse d’une littérature contemporaine semble beaucoup plus appropriée à un concept ancré dans les luttes d’aujourd’hui ?
L’entrée en la matière est déprimante. Le male gaze bénéficie de nombreuses armes pour se défendre. Mais la littérature n’est pas, pour autant, vaincue. Azélie Fayolle propose dans son second chapitre d’envisager d’autres gazes : le female gaze, le feminist gaze ou encore le queer gaze. Elle prône une vision pacifiste qui ne s’oppose pas forcément au male gaze, mais qui se le réapproprie pour mieux le détourner. Mais encore faut-il que le lecteur soit ouvert à cette littérature. La responsabilité n’est pas le seul fait de l’auteur, comme le prouve la Lolita de Nabokov.
C’est, donc, avec espoir qu’on repose ce livre. Même si on déplore une écriture parfois trop peu accessible pour un sujet qui est d’intérêt public, le livre d’Azélie Fayolle a au moins le mérite de poser un regard critique sur la création littéraire et de proposer des manières plus positives d’écrire le féminin. Encore une fois, la maison d’édition indépendante Divergences a choisi de publier une autrice confrontante, dont la voix est nécessaire.
