Sibyl, passage et dépassement pour Justine Triet et Virginie Efira

Sibyl
de Justine Triet
Comédie dramatique
Avec Virginie Efira, Adèle Exarchopoulos, Gaspard Ulliel, Sandra Hüller, Niels Schneider
Sorti le 29 mai 2019

Troisième long métrage de la réalisatrice française Justine Triet, Sibyl marque sa deuxième collaboration avec l’actrice Virginie Efira, après Victoria. Les liens entre les deux films ne s’arrêtent pas là tant Sibyl semble constituer le prolongement d’un travail entre la cinéaste et la comédienne, un approfondissement d’une piste creusée avec le précédent film. C’est véritablement un dépassement qu’opèrent Triet et Efira avec ce film-ci, le dépassement d’un genre – la comédie, dans le carcan de laquelle s’inscrivait pleinement Victoria – mais également le dépassement des horizons explorés par une actrice, un dépassement de soi et des possibles.

C’est en tout cas clairement le projet qu’embrasse Sibyl, qui se donne un peu comme « le film de la maturité » pour sa réalisatrice, une étape décisive dans sa carrière et son chemin d’auteur. Le fait que le film soit sélectionné en compétition à Cannes vient encore appuyer et légitimiser cette idée et la « hype » grandissante autour de Virginie Efira – tout doucement en train de se faire canoniser comme une des plus grandes actrices « françaises » vivantes – ne fait que venir aider l’attente assez démesurée autour de ce film.

La trame de Sibyl englobe toute une série de classiques de la psychanalyse et de la mise en abîme puisqu’on y suit une psy aux velléités d’écrivain qui s’inspire des déboires d’une patiente actrice pour composer son premier roman. S’immisçant malgré elle de plus en plus dans la vie de sa patiente, jusqu’à l’accompagner sur le plateau du film qu’elle est en train de tourner, Sibyl y trouve des similitudes avec ses propres expériences tandis que se mêlent de plus en plus passé et présent, fantasme et réalité.

Il est difficile à ce point, après une seule vision du film, d’avoir une idée claire sur les sentiments qu’il dégage et qu’il provoque, tous profondément contradictoires. Il est éminemment clair que Sibyl devrait effectivement constituer un point de passage dans la perception que l’on a du cinéma de Triet tant le film tend à faire accéder celui-ci à un régime beaucoup plus ample et profond. Mais il est encore trop tôt pour affirmer clairement si le passage est réussi.

Les références nobles convoquées par le film – Justine Triet parle d’Une autre femme de Woody Allen ou encore de Quinze jours ailleurs de Minnelli, alors que l’on peut également penser par moments à Hitchcock ou Bergman – apparaissent bel et bien mais sont parfois cachées par une impression d’inachevé, d’imperfection qui le place occasionnellement à la lisière du ridicule. C’est probablement une sorte d’indécision ou de dosage fluctuant – malgré tout intéressant – entre comédie et tragédie, qui produit cet effet, d’autant plus que le film est par ailleurs admirable sur bien des points.

La direction d’acteurs de Triet, son travail avec Efira mais également avec l’ensemble du casting, reste tout bonnement époustouflante et constitue le biais par lequel le film peut éventuellement basculer vers une ampleur plus grande, et faire basculer le spectateur dans la fascination pure et simple. Mais pour une scène sublime lors de laquelle Virginie Efira dirige littéralement un échange torride entre Adèle Exarchopoulos et Gaspard Ulliel, il en est une autre, véritablement désastreuse sur le plan dramaturgique et empathique, lors de laquelle l’alcoolisme du personnage principal est censé devenir un enjeu de comédie, avant que la pauvre Sibyl soit ramenée à une réalité cruelle qui la broie totalement. Cette manière de maltraiter un personnage – et une actrice par la même occasion – est une des grosses limites du film qui se fait là à la fois moralisateur et martyrologique, deux virus galopants du cinéma d’auteur contemporain, auxquels on aimerait beaucoup qu’échappe un talent aussi prometteur que celui de Justine Triet.