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    Si tu continues comme ça… : un exercice de style(s) réussi

    Entre stand-up, théâtre et poésie, Rémi Faure-El Bekkari signe avec Si tu continues comme ça… un solo hybride et déconcertant sur l’identité, la pudeur et la construction d’une masculinité troublée. Présenté pour la première fois à la Balsamine, en coproduction avec les Halles de Schaerbeek, le spectacle oscille avec brio entre rire et réflexion, dans un jeu constant de ruptures entre les registres. Ce seul-en-scène est aussi une quête d’identité(s) : celles qu’on nous colle à la peau ou celles dans lesquelles on se glisse pour exister, grandir ou sur-vivre.

    Rire, d’abord. Parler ensuite. Mais quand commence la représentation, au juste ? Qu’elle démarre ou qu’elle ne démarre pas, telle est la question. C’est dans ce contexte que l’acteur nous installe, sans jamais répondre à la convention théâtrale. Ou plutôt, en la malmenant — pour notre plus grand plaisir.

    Qualifié de comédie expérimentale, le spectacle convoque des registres variés : stand-up, extraits sonores de scènes de comedy-club, monologues intérieurs, échos d’Hamlet. L’invocation du personnage shakespearien est un clin d’œil évident à la trajectoire de Rémi Faure-El Bekkari. Les confessions retenues et les moments d’embarras se déposent comme voie d’accès aux contradictions de l’auteur. Le texte, parfois un peu linéaire, regorge pourtant de formules bien taillées. Les punchlines abondent, allant chercher l’ironie dans des zones où l’on n’oserait pas s’aventurer, provoquant les éclats de rire complices et souvent nerveux du public.

    Si la représentation est souvent perturbée – à dessein -, sa dramaturgie n’en est pas moins cousue avec finesse. Quant à la mise en scène, elle oscille entre effets de surprise et tableaux d’une poésie absolue. Ça fonctionne, et c’est réjouissant.

    Mais sous ses airs de spectacle drôle, Si tu continues comme ça… nous prend à revers. On rit, et pourtant, le cœur du propos est plus sérieux qu’il n’y paraît : c’est d’existence et de liberté dont il est question. Dans un monde qui vacille, la traversée de Rémi Faure-El Bekkari — intime et pudique, drôle, dérangeante et pourtant réconfortante — tente d’ouvrir le dialogue. Cependant, les thématiques évoquées — masculinités, racisme décomplexé, injonctions à l’hétérosexualité, suicide — traversent l’œuvre sans jamais être pleinement saisies ni approfondies. Ce choix laisse parfois le public à distance, là où une radicalité aurait pu creuser plus profondément encore la faille du « cis-tème* ».

    Néanmoins, déconstruire certaines injonctions et se jouer des normes : voilà le pari – et il est tenu. L’acteur se place en rupture pour mieux s’approprier l’espace scénique, convoquant le rire comme un espace de confession dans lequel on plonge bien volontiers. Comme une piqûre de rappel d’un temps où le spectacle avait lieu autant dans l’agitation des gradins que sur scène, Si tu continues comme ça… atteint un point de rencontre rare, loin des rangs silencieux – et, au demeurant, majoritairement dociles – des salles contemporaines.

    *Cis-tème : néologisme issu des études de genre / transféminisme. Il joue sur la sonorité de « système » pour désigner un « système cis » — autrement dit, l’ensemble des normes, institutions et logiques sociales qui valorisent les personnes cisgenres et marginalisent ou rendent invisibles les identités hors de ces cadres normatifs.

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