River au Théâtre des Martyrs, jusqu’au 23 novembre

Un spectacle de Michèle Anne De Mey créé pour et en collaboration avec Charlotte Avias, Didier De Neck, Gaspard Pauwels, Fatou Traoré, Alexandre Trocki, Violette Wanty, Nino Wassmer, Zaza le chien, textes Thomas Gunzig. Du 12 au 23 novembre 2019 au Théâtre des Martyrs. Crédit photo : Julien Lambert

Dans River, la mémoire d’un homme défile rapide sur la scène de la grande salle du Théâtre des Martyrs. Il est seul, maintenant, au centre d’un énorme espace vide qui est aussi sa maison, leur maison, à eux tous, à eux qui sont partis, d’une manière ou d’une autre, ailleurs. Il en arpente les couloirs en contant les pas qui le divisent de l’adieu déjà établi à cette maison qui fut abri, et lieu de fête, et de retrouvailles. Il rédige mentalement un état des lieux méticuleux et presque obsessionnel, il répertorie les objets qui sont l’héritage matériel de cette famille qui pendant des générations a occupé ces pièces et ce jardin.

Mais qu’en est-il du patrimoine immatériel d’une famille quand on quitte la maison ? De tout le répertoire de souvenirs partagés, de tout ce qui tenait sur les relations entre les membres, des non-dits et des secrets ? Ce spectacle, mis en scène par Michèle Anne De Mey, donne une réponse personnelle et originale à cette question qui touche au sujet de la mémoire et des adieux. Les personnes de sa vie rentrent et sortent d’une ancienne armoire et lui il n’arrive pas à se détacher de leurs regards et de leurs voix. Le chien de la famille passe aussi de temps en temps. Petit à petit ses souvenirs se matérialisent et se déforment, symptôme d’une mémoire qui opère, quand le temps passe.

Entre souvenirs et projections, la mémoire de cet homme est faite de gestes et d’images, de symboles. Les artistes sur scène créent un univers presque fantomatique qui parfois est contenu « au-delà du voile » et parfois déborde en envahissant tout l’espace. Sur les notes de Mozart, de Schubert mais aussi de Janis Joplin, les corps survivent au temps qui passe et mettent en scène un passé riche qui rend le présent juste une attente. La danse est le matériel duquel le passé est fait. Les images en prise directe changent la géométrie du plateau en mélangeant, sur différents niveaux, des instants vécus avec le présent des corps en mouvement. C’est comme une interférence, le passé qui revient, ou qui n’est jamais parti.

Grace au charme de la scénographie, à l’intelligence de la mise en scène et à la performance excellente des interprètes, River est une expérience esthétique intéressante et séduisante. On vit un moment d’immersion dans la mémoire d’un homme, on l’accompagne dans la profondeur de son histoire, en contact avec ses racines, et c’est très charmant d’y être. C’est juste dommage que l’on n’arrive pas forcément à se sentir concernés, comme si la dimension générale de la mémoire n’était pas atteinte et que le spectacle restait très subjectif.

A propos Elisa De Angelis 55 Articles
Journaliste du Suricate Magazine