« Ressource humaine », au cœur du système capitaliste moderne et ses impasses

Titre : Ressource humaine
Autrice : Louise Morel
Editions : Hors d’atteinte
Date de parution : 3 mars 2022
Genre : Roman

Ressource humaine nous plonge dans l’univers des entreprises capitalistes modernes à travers le personnage de Marianne, une consultante qui a suivi à la lettre ce que ses parents et la société attendaient d’elle jusqu’à une trentaine d’années : une classe préparatoire suivie d’une formation à HEC, l’intégration d’une prestigieuse entreprise dans laquelle elle a gravi les échelons, un mariage avec un homme au physique athlétique et obsédé par sa santé, un projet de grossesse en perspective, en passant par un remodelage de son apparence physique qui ne laisse plus rien paraître de l’adolescente « boulotte » qu’elle a jadis été. Au moment où elle fait face à un dernier défi pour accéder au rang de « partner » dont elle croit rêver, elle réalise qu’elle a poursuivi une ambition qui, non seulement n’est pas la sienne, mais ne constitue probablement une voie d’épanouissement pour personne.

Dans le milieu professionnel de Marianne, la persévérance est le maître mot. Les épreuves s’enchaînent les unes après les autres dans un univers stratégique et utilitariste, saturé de novlangue. Ce dernier ne valorise que la performance, la maitrise des procédures, de la mise en forme et du temps toujours plus séquencé, l’optimisation des résultats et l’atteinte d’objectifs aussitôt remplacés par de nouveaux une fois atteints, sans joie. Finalement, l’échec n’est pas permis. Si les jeunes recrues peuvent être surprises dans un premier temps, elles finiront par l’intégrer : « on accepte de devenir une ressource et non plus une personne ». Il s’agit aussi d’un monde masculin et blanc, qui cache en réalité un sexisme, un jeunisme, un racisme et une homophobie latente. Dans l’air du temps, il prône cependant une fausse décontraction vestimentaire, le véganisme, le yoga et la méditation, qui dissimulent difficilement la véritable loi qui le régit : « le profit résulte des revenus et des coûts ».

Les corps trahissent pourtant tout le malaise qui en résulte. Ils révèlent, au contraire, les émotions que l’on voudrait taire : transpiration, nausées, épuisement, jusqu’à la fracture. Si Marianne noie ses sentiments et sa vie personnelle dans le travail, elle n’est pas en reste, quand bien même elle essaie de les faire taire à coup de cigarettes frénétiquement happées.

Bien qu’elle ne s’en doute pas dans un premier temps, une voie de sortie lui sera proposée par le biais d’une parenthèse professionnelle berlinoise où elle connaîtra les excès de la fête et de la drogue. Ils lui permettront de lâcher prise momentanément en même temps qu’ils l’éreinteront. Elle sera initiée par Giulio, son voisin de palier lui aussi hanté par ses propres démons. Leur amitié soudaine, en dépit des non-dits et probablement même grâce à eux, la mettra face à ses incohérences et ses aspirations les plus profondes. C’est sûrement là le tour de force du livre. Après avoir rappelé le mal être engendré par le système capitaliste moderne malgré les habits progressistes et bienveillants qu’il revêt, Ressource humaine souligne la fulgurance que peut produire une rencontre furtive dans une vie, et sa capacité à nous faire tout remettre en question.