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    Qu’est-il arrivé à Harry Potter ? D’enfant sorcier à antéchrist

    Saviez-vous que Sean Connery n’était pas le premier acteur à avoir incarné James Bond au cinéma ? Que Batman a combattu pour l’Oncle Sam ? Qu’une autre Mary Poppins a tenu le parapluie quinze ans avant Julie Andrews ? Que la première apparition de l’inspecteur Columbo s’est faite sans Peter Falk ? Ou que les Hobbits ont vécu une idylle avec des réalisateurs soviétiques bien avant celle vécue avec Peter Jackson ?

    En effet, avant d’être les célèbres personnages que nous connaissons aujourd’hui, plusieurs héros ont connu une autre vie et d’autres visages, se métamorphosant au gré de leurs aventures jusqu’à devenir ceux que nous connaissons désormais.

    Mais certains d’entre eux ont également connu une destinée surprenante. C’est ainsi qu’après sa sortie de Poudlard, Harry Potter est devenu l’antéchrist…

    Century : la Ligue des Gentlemen extraordinaires et le siècle nouveau

    Bien entendu, l’idée n’a rien d’officiel et n’aura jamais été corroborée par J. K. Rowling, mais elle est néanmoins suffisamment intéressante pour que l’on s’y arrête un instant. D’autant plus qu’elle émerge du génial cerveau de l’écrivain britannique Alan Moore !

    Pour celles et ceux qui l’ignoreraient encore, Alan Moore est un mythique auteur responsable de quantité de récits devenus cultes au fil du temps : From Hell, V pour Vendetta, Watchmen, Batman: The Killing Joke ou encore Superman: Whatever Happened to the Man of Tomorrow? sont autant de récits issus du brillant esprit de ce sorcier de la littérature.

    En 1999, sortait le premier volume d’une série scénarisée par celui-ci et depuis lors devenue culte : la Ligue des Gentlemen extraordinaires, mettant en scène des héros de l’époque victorienne tels que Allan Quatermain, l’Homme invisible, Dr. Jekyll et Mr. Hyde ou encore le Capitaine Nemo.

    Si la licence est aussi connue du grand public pour son adaptation cinématographique souvent décriée – mettant en scène Sean Connery dans son dernier grand rôle –, on oublie souvent que le comic book originel aura eu droit à pas moins de quatre tomes étalés sur vingt années (1999-2019) !

    Le principe de la Ligue des Gentlemen extraordinaires consistant à mettre en scène les héros majeurs d’une certaine époque, le premier tome situé en 1898 aura naturellement fait la part belle à l’époque victorienne, brassant des références à Sherlock Holmes et au Professeur Moriarty, ainsi qu’au Docteur Fu Manchu et aux différents héros précités ; le second tome se déroulant quant à lui à la charnière du vingtième siècle, c’est naturellement autour de la Guerre des mondes de H. G. Wells et du 1984 de George Orwell que sera centrée l’intrigue.

    Le troisième tome, intitulé Century, sera quant à lui consacré au vingtième siècle et divisé en trois parties : 1910, 1969 et 2009. On y trouvera ainsi quantité de personnages iconiques tels que James Bond – devenu un véritable sociopathe – Mary Poppins, et même l’acteur Michael Caine !

    C’est ainsi que, en tant qu’icône culturelle des vingt et vingt-et-unième siècles, Harry Potter trouvera une place particulière dans cette comédie humaine…

    Le célèbre sorcier ne sera d’ailleurs pas le seul personnage issu de cet univers à apparaître dans Century, puisque l’on pourra également y apercevoir Lord Voldemort… Ou plutôt un jeune Tom Jedusor égaré à un festival de musique à Hyde Park en 1969 et se présentant comme quelqu’un qui « enseigne les sciences occultes dans une école du nord », ajoutant être « familier avec tous les grands magiciens ».

    Pour des raisons évidentes de droits d’auteur, aucun des personnages apparaissant dans ce troisième volume de la Ligue des Gentlemen extraordinaires ne sera expressément nommé. Mais suffisamment d’éléments seront donnés au lecteur pour faciliter l’identification de ceux-ci. C’est ainsi que Tom affirmera : « Mon prénom est Tom, mon deuxième prénom est une merveille (« Marvel » en anglais) et mon nom de famille est une énigme (« Conundrum » ici, et « Riddle » chez J. K. Rowling). Sans réellement le dire, Tom Marvolo Riddle dévoilait ainsi son identité ! Avant d’abuser sexuellement d’une Mina Harker droguée – l’héroïne de la licence présente dans chacun des quatre tomes de cette Ligue des Gentlemen extraordinaires.

    Tout cela nous transportant vers la troisième partie de ce Century, située en 2009 et au cours de laquelle Orlando – second personnage principal de cette histoire changeant involontairement de sexe d’année en année – aura la vision du sorcier Prospero. Celui-ci accablant la Ligue pour n’avoir pas su empêcher la naissance de l’antéchrist.

    « Où est ma Ligue, maintenant que le Jugement Dernier est proche, dira-t-il. Je t’ai chargée de prévenir une monstrueuse naissance, et cette naissance a eu lieu. Le Royaume Incandescent t’avait fait confiance afin de trouver pour nous l’antéchrist et pour que nous puissions empêcher l’Apocalypse. À la place, vous vous êtes pitoyablement égarés. Retrouve tes compagnons et la lame fabuleuse ! Retrouve cet enfant de la lune dont parlent les astres ».

    C’est ainsi que, cherchant à combattre l’antéchrist, Orlando retrouvera par hasard l’aventurier Allan Quatermain, désormais devenu un vagabond désireux d’oublier son glorieux passé.

    Tandis que Mina Harker aura été internée à la clinique psychiatrique dirigée par l’arrière-petite-fille de Sigmund Freud, suite au traumatisme de son agression par Tom Jedusor en 1969 !

    Une fois sortie de cet asile et remise sur pieds, Mina rencontrera à son tour Quatermain qui lui avouera n’avoir pas su combattre son addiction à l’héroïne et ne plus vouloir les suivre dans leur aventure.

    Dépitées et égarées à la station londonienne de King’s Cross, Mina et Orlando rencontreront Andrew Norton, le Prisonnier de Londres, personnage issu du livre « Slow Chocolate Autopsy: Incidents from the Notorious Career of Norton, Prisoner of London » de l’écrivain britannique Iain Sinclair. Le personnage étant l’un des rares à apparaître dans la série de la Ligue des Gentlemen extraordinaires en ayant reçu l’autorisation de son auteur. Personnage ressemblant d’ailleurs fortement à ce dernier !

    Slow Chocolate Factory est un livre en douze parties mettant en scène Andrew Norton, un voyageur piégé dans l’espace-temps et ayant participé à quantité d’évènements majeurs de l’histoire londonienne comme l’assassinat de l’écrivain Christopher Marlowe, les meurtres de Jack L’Éventreur et d’autres éléments constitutifs de l’histoire de la capitale britannique.

    Lors de sa discussion avec Mina et Orlando, Norton marchera vers un mur situé entre les neuvième et dixième quais de la station King’s Cross… invitant ses interlocuteurs à le suivre tout en leur expliquant que : « Le truc consiste à marcher normalement. Ça apparaitra comme un bug sur les caméras de surveillance ».

    C’est ainsi que nos héroïnes pénétreront dans un monde caché où elles ne trouveront que chaos et désolation, sorte de quai 9 ¾ jamais mentionné officiellement. Tandis qu’en leur montrant un train/Poudlard Express désormais fantomatique, le prisonnier de Londres leur expliquera : « C’était un moyen de transport vers un ‘collège invisible’, mais pas dans un sens rosicrucien. Comme vous pouvez le voir, il est hors service. Officiellement, l’école a succombé à la rupture des négociations entre le bien et le mal ».

    Et alors que Mina demandera ce qu’il en est de l’antéchrist, Norton répondra : « Il a étudié l’occulte dans cette école. Après avoir obtenu son diplôme, il a repris le train vers la maison. Apparemment, il a survécu au voyage. Pas les autres ». Laissant sous-entendre – toujours sans l’affirmer clairement – qu’il s’agit de Harry Potter.

    Désormais abandonnées par le prisonnier de Londres ne pouvant pas quitter la capitale, Mina et Orlando monteront dans ce train fantôme magique, voyageant jusqu’à des contrées inconnues.

    Arrivées à destination, elles trouveront quantité de cadavres et de constructions en ruine, notamment un gigantesque bâtiment gothique ayant autrefois été une glorieuse institution scolaire…

    Arrivées à l’intérieur de l’édifice, les héroïnes découvriront une cage d’escalier – désormais immobile – jonchée de cadavres ! Ce qui amènera à un flashback dans lequel on pourra voir un personnage blond à l’avant-plan, doucement tué par un sortilège étrange. Tandis qu’à l’arrière-plan un jeune garçon roux suppliera : « Pitié. Pitié ne fais pas ça. Nous sommes tes amis ». Avec, à ses pieds, une jeune fille en sanglots réclamant sa maman.

    Sans être nommés, Malfoy, Ron et Hermione auront visiblement connu un funeste destin aux mains d’un sorcier qui était autrefois leur camarade de classe…

    Cherchant la salle des archives, Mina et Orlando découvriront encore d’autres cadavres émergeant de peintures autrefois animées, tandis que leurs macabres découvertes seront entremêlées de visions où l’on pourra voir des professeurs ayant jadis enseigné à cette école, massacrés par le même garçon-sorcier.

    Si, ici encore, aucun lien clair et précis ne sera fait vers l’univers de Harry Potter, la référence est évidente, comme l’aura noté la journaliste Laura Sneddon dans les pages de The Independant : « À aucun moment Moore n’utilise les mots « Harry » ou « Potter », mais parle d’un train magique dissimulé entre deux plateformes de la gare de King’s Cross, transportant vers une école magique où apparaissent des flashbacks de rage adolescente psychotique et d’enfants implorant pour leur vie, le tout au milieu de corps décrépis, suggérant un lien vers l’univers du garçon qui a survécu ».

    Quoi qu’il en soit, arrivées à la salle des archives, Mina et Orlando découvriront une adresse… Supposément l’adresse où réside désormais l’antéchrist Potter ! Tandis que le squelette de Tom Jedusor apparaîtra comme étrangement décapité, poussant les héroïnes à se demander où peut bien se trouver la tête de celui-ci.

    Question à laquelle Alan Moore et le dessinateur Kevin O’Neill répondront rapidement, présentant l’antéchrist dans sa chambre de la banlieue londonienne, des fioles médicamenteuses jonchant le sol, tandis que la tête de Tom sera présentée à l’avant-plan, enfermée dans une cage.

    On découvrira par la même occasion que cet antéchrist aura dissimulé son lieu de résidence grâce à un étrange sortilège : les amateurs de la saga Harry Potter reconnaitront le sortilège de Fidelitas, ayant permis de dissimuler la maison de l’Ordre du Phénix dans le cinquième tome des aventures du célèbre sorcier.

    Une fois arrivées face à cette maison de la banlieue londonienne ressemblant quelque peu au Privet Drive où habitait autrefois la famille Dursley, Mina et Orlando découvriront ce qu’il est advenu du célèbre sorcier ayant cédé à ses pulsions destructrices. Tandis que celui-ci émergera de l’édifice, d’une taille gigantesque et le front couvert d’yeux tel un Ophanim biblique.

    Afin de lutter contre cet antéchrist, Orlando sortira la « lame fabuleuse » dont parlait plutôt Prospero lors de sa vision, la légendaire épée Excalibur ! Affirmant par la même occasion devoir lutter jusqu’à l’arrivée de renforts, sans savoir en quoi consisteront ces renforts…

    C’est ce moment qu’Allan Quatermain aura attendu pour réapparaître afin d’aider ses légendaires compagnons et rendre ses lettres de noblesse à la Ligue des Gentlemen extraordinaires !

    Avant de se faire carboniser par… le pénis de cet antéchrist/Harry Potter, offrant au personnage la possibilité de mourir en héros, comme une absolution inespérée après des années d’errance.

    Alors que la situation semblait désespérée – ce terrible antagoniste étant capable de se régénérer à l’infini –, Mary Poppins fera son apparition afin d’inverser la tendance et combattre le sorcier déchu.

    Et alors que l’antéchrist/Harry Potter déversera les flammes de l’enfer sur la célèbre gouvernante, celle-ci, peu impressionnée, déclarera : « J’ai bercé les bébés dieux agités avant même que ne commence le temps… et je suis l’amie des femmes qui ont assemblé les étoiles. Les quatre coins du monde obéissent à ma boussole. J’ai pris le thé avec des tremblements de terre. Je sais ce que connait l’abeille… et tu es vraiment un vilain petit garçon ».

    Mary Poppins transformera alors cet antéchrist en fresque imprimée sur le sol londonien, avant de déclencher la pluie pour faire disparaître ce souvenir maléfique, puis de s’envoler vers d’autres aventures.

    C’est ainsi que Mary Poppins a terrassé Harry Potter !

    Et tandis que le journaliste John Higgs, à la lecture de ce passionnant récit, demandera à Alan Moore s’il avait le sentiment que l’imagination dépérissait au cours du vingtième siècle, ce dernier répondit : « Je sais ce que les gens ont dit après avoir lu le troisième tome : ils ont dit que c’était ma façon d’affirmer que tout ceci n’était autrefois que verts pâturages. Ce qui n’est pas le cas. Ce n’est pas ce que j’essayais d’exprimer. Mais ce que j’essayais de dire c’est qu’il n’était pas injuste de choisir L’opéra du gueux pour représenter un évènement culturel important de l’année 1910. Je ne pense pas qu’il était injuste de choisir la performance de Donald Campbell comme représentant un évènement important de l’année 1969. Et je ne pense pas qu’il était injuste de choisir le Harry Potter de J. K. Rowling pour représenter un évènement culturel important du vingt-et-unième siècle. Je dirais que si vous deviez placer ces éléments sur un graphique, la courbe ne serait pas ascendante… Je pense qu’il est juste de croire que notre approche de la culture a – pour ce qui est de la culture populaire – dégénéré. Les valeurs que les gens avaient l’habitude de placer dans les créations artistiques se sont érodées. Je ne cherchais pas à dire que toutes les cultures de la fin du vingtième siècle étaient à jeter, et je ne cherchais pas à dire que la culture était condamnée. J’essayais de dire que la culture populaire était devenue répétitive, n’avait plus d’idées originales, et n’était plus capable de donner vie à une performance ».

    Ainsi, malgré son dédain apparent pour l’œuvre de J. K. Rowling, Alan Moore aura prouvé que – quelles que puissent être les qualités littéraires que l’on puisse trouver au célèbre sorcier – Harry Potter fait désormais partie intégrante de la culture populaire, au même titre que Dr. Jekyll et Mr. Hyde, Mary Poppins ou James Bond !

    Bibliographie

    Alan Moore, Kevin O’Neill, The League of Extraordinary Gentlemen, volume III: Century, Londres, Top Shelf Productions, 2014.

    John Higgs, « Alan Moore talks to John Higgs about the 20th Century », dans YouTube [En ligne], https://www.youtube.com/watch?v=RpajFQECzAk, 1er novembre 2015, (Page consultée le 14 décembre 2024, Dernière mise à jour non communiquée).

    Laura Sneddon, « League of Extraordinary Gentlemen: Century 2009, By Alan Moore and Kevin O’Neill », dans The Independent [En ligne], https://www.independent.co.uk/arts-entertainment/books/reviews/league-of-extraordinary-gentlemen-century-2009-by-alan-moore-and-kevin-o-neill-7856395.html, 19 juin 2012, (Page consultée le 14 décembre 2024, Dernière mise à jour non communiquée).

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