Plainte contre X, réquisitoire bien mené

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De Karin Bernfeld, mise en scène et vidéos d’Alexandre Drouet avec Emilie Maréchal.

Fatiguée, abîmée, perdue, Estelle est une femme du XXIème siècle qui a grandi, à l’instar de nombreux autres de ses contemporains, dans la pornographie. Très jeune, elle devient accro aux images brutales de ce genre parallèle du cinéma. À 17 ans, elle tourne son premier film qui en appellera des centaines d’autres. Aujourd’hui, elle décide d’en parler, de se confier ou plutôt, de porter plainte contre X.

Ce n’est un secret pour personne, le Théâtre de Poche aime susciter le débat, provoquer des émotions en brisant des tabous. Plainte contre X est en cela un exemple parfait du rôle de « passeur » que s’est imposé le lieu depuis des années.

Dans cette pièce d’une bonne heure, une jeune femme nous raconte son calvaire face à l’industrie du porno, face à sa propre existence et sa propre condition, extrapolant ainsi son personnage à l’ensemble de la société, en particulier à la gent féminine. Car si elle nous narre son expérience au sein même de l’industrie du X, elle ne manque pas de pointer du doigt tous les complices de cette usine à haine. Il y a ceux qui la créent, ceux qui la filment et ceux qui la regardent. Pour Estelle, tous sont coupables d’un crime à des degrés divers.

Le problème de la pornographie est un tabou dans la société actuelle et concerne chacun et chacune d’entre nous. L’idée de la mettre sur le banc des accusés met en réalité au ban l’entièreté de l’assistance qui est – comme l’indique très justement l’unique protagoniste de la pièce – complice passif du méfait. Mais voilà, si l’idée est admirable, sa mise en scène soignée et son interprétation prodigieuse, il n’en reste pas moins que tout y est à charge des accusés, ce qui rend le propos trop dur, trop exclusif et plein d’anfractuosités difficiles à mettre en perspective. Cela provoque un malaise.

Et pour cause, Estelle nous explique son expérience douloureuse et destructrice du porno au sein même de celui-ci. La femme y est un objet à salir, à insulter, une chose qui se condescend à l’homme. Outre cela, elle nous explique avoir été comme nous, des consommateurs inconscients de leur participation au mal. Jusque là, on s’interroge, on lui donne raison, on la comprend, en somme : on compatit.

C’est alors que le texte, porté par un monologue soutenu et invectif, nous parle de viol, de pédophilie, de proxénétisme, etc. Ces vindicatives aussi violentes que ponctuelles causent la perte de l’empathie du spectateur. Ce dernier doute alors de la véracité de cette plaidoirie et de l’honnêteté même du récit de vie décrit par Karin Bernfeld. Du témoignage utile devant susciter sainement le débat, on passe à une diatribe féministe un peu vengeresse qui a comme seule qualité d’être un appel au secours. Le spectateur passe alors du statut de témoin à celui de juge.

Passé cela, il faut néanmoins souligner l’excellente prestation de la comédienne Emilie Maréchal. Toujours juste, elle donne admirablement vie aux propos de son personnage. Avec une clarté incroyable, elle fait sans cesse évoluer le rythme du monologue pour lui offrir davantage de portée. Une prestation cinq étoiles à n’en pas douter.

En résumé, avec Plainte contre X, Karin Bernfeld a instruit le dossier du porno à charge, en oubliant de se décharger elle-même de ses propres récriminations. Mais là où la pièce reste objective, elle sert admirablement bien son propos, celui de la condition de la femme dans une industrie malsaine qui l’exploite. Sur ce sujet, Plainte contre X évite le non-lieu.

Photo d’illustration © Yves Kerstius

A propos Matthieu Matthys 919 Articles
Directeur de publication - responsable cinéma et littérature du Suricate Magazine.

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