Titre : Oser le nu
Auteur.ice.s : Camille Morineau
Edition : Flammarion
Date de parution : 26 février 2025
Genre du livre : Histoire de l’art
Camille Morineau est l’autrice derrière ce somptueux livre : « Le nu représenté par les artistes femmes ». Elle donne à voir une histoire, celle qui a été minutieusement démolie par les historiens de l’art du vingtième siècle. Elle donne à voir les peintures de femmes qui mettent en scène du nu et par là nous demande de regarder autrement les corps déshabillés, le désir, l’art de peindre, l’histoire de la peinture et des femmes.
Le seul point négatif à cet ouvrage, si on devait commencer directement par le négatif, est qu’on a une impression de trop peu. Morineau paraît si savante, sans être pompeuse, qu’elle semble (qu’elle doit, contexte d’édition oblige) se retenir. Elle cite tant de noms, distille tant d’informations biographiques sur tant de femmes, de toutes les époques, qu’on aimerait qu’elle s’attarde, qu’elle prenne le temps. On aimerait voir plus d’œuvres, avoir accès à plus de reproductions. En cela, elle fait aussi office de pédagogie, car elle ouvre la curiosité, à défaut d’avoir pu éditer un livre en deux volumes.
Morineau commence par cette question : pourquoi y a-t-il si peu d’hommes représentés dans les nus féminins ? Une interrogation qu’elle entendait souvent lors des visites de son exposition à Pompidou « elles », en 2009, faisant déjà la part belle aux femmes. Comme le disent si bien les Guerrilla Girls, il est connu qu’il est plus facile d’entrer dans un musée comme femme nue peinte par un homme, les musées exposant majoritairement des œuvres d’hommes qui se galvanisent entre eux.
Cependant, Morineau vient relativiser tout cela et remettre un certain ordre. Elle se permet, en nous taclant gentiment, de nous rappeller que le vingt et unième siècle n’a pas l’apanage de toutes les inventions. Contrairement à ce qu’on a écrit, les femmes (ou certaines femmes, pour être juste, en fonction d’une classe sociale, d’un réseau puissant ou d’un talent impressionnant) pouvaient dessiner des nus. Angelica Kauffmann (1741 – 1807), Henrietta Rae (1856 – 1928), Tamara de Lempicka (1898 – 1980) ne sont que quelques exemples. Non seulement elles pouvaient mais elles savaient le faire aussi bien que n’importe qui.
Morineau, dans Oser le nu, au-delà de ce regard historique sur la peinture, interroge ce que l’on sait ou croit savoir d’une société donnée, et de qui nous tenons ces informations. Réapprendre à voir, à lire, aller au-delà des idées reçues, toutes faites (par des hommes ?). Que diront les historiennes du futur de notre époque ? Pour saisir cette complexité, il faudra qu’elles ne s’attardent pas sur un ressenti global, mais s’intéressent à l’individu, aux artistes comme Marina Abramovic, et à leur manière personnelle de fricoter avec leur temps.
Morineau, passeuse d’images, nous donne à voir des peintures de femmes où le male gaze est absent, où les corps ne sont pas que des objets soumis au regard masculin. C’est fascinant, dans ce livre dédié au female gaze, de voir ces centaines de nus et de nues qui ont leur vie propre, qui ne sont pas destinées à faire jouir les hommes, sans pour autant essentialiser non plus les femmes. Elle tient aussi, à travers ces divers chapitres, du XVIème siècle à 1993, à faire la part belle aux histoire queer et lesbiennes, qui ne datent pas d’hier. « Oser le nu » est donc un ouvrage indispensable pour toutes personnes qui s’intéressent à la fois à la peinture, à l’histoire de l’art et aux femmes artistes, mais aussi au female gaze et aux personnes queer. C’est un livre qui renseigne, qui coule de source et qui émeut.