« Memoria » : un tableau hypnotisant, irréel, magistral

Memoria
d’Apichatpong Weerasethakul
Drame
Avec Tilda Swinton, Juan Pablo Urrego, Elkin Diaz
Sorti le 12 janvier 2022

Avec Memoria, le réalisateur thaï Apichatpong Weerasethakul livre son premier film international, fidèle pour autant à ses inspirations culturelles et philosophiques. Une fable à hauteur humaine, avec Tilda Swinton dans le rôle de Jessica Holland, une horticultrice en visite à Bogotá auprès de sa sœur malade. L’actrice est parfaite sous les traits de cette protagoniste aux identités complexes et aux questions multiples évoluant dans un univers étranger. Au fil des rencontres, elle recherche la cause des bruits angoissants et mystérieux qui peuplent ses nuits. Une quête de longue haleine que le cinéaste met en scène avec finesse, prenant le temps de chaque plan, chaque instant d’image. En résulte un film au rythme hypnotisant, où les dialogues rares et distillés à dessein sont comme les vaguelettes venant dessiner des courbes parfaites sur un océan de tranquillité.

Ce n’est pas pour autant que les personnages et les êtres que Jessica rencontre lui sont indifférents ou antipathiques, au contraire. Simplement, Memoria est une œuvre faite des silences qui ponctuent les échanges et les conversations. Un film où l’on montre pour dire, et où le cinéaste épure l’échange verbal jusqu’à sa plus belle expression. L’archéologue, le musicien ou la médecin que rencontre Jessica deviennent dès lors des adjuvants sympathiques, ou au moins des hommes et des femmes intriguant.e.s qui parsèment le parcours de cette créature fascinante à qui Tilda Swinton donne tant de profondeur par son jeu subtil et son corps magnétique.

Entre passé et présent, les nappes de temps semblent se superposer au cœur de la jungle colombienne, comme elles se mélangeaient déjà les œuvres précédentes du réalisateur. Un monde de sons, de bruits, mais aussi de silences et de plans fixes qui font s’étirer les secondes, nous engloutissant par leur beauté simple.

Memoria est de ces films qui vous fascinent sans forcément pouvoir l’expliquer, à la manière d’un tableau de maître ou d’une nature vierge et primitive. Et pour cause, l’œuvre est un peu des deux à la fois, et ne donne envie que d’une chose lorsqu’elle se termine : s’y noyer à nouveau.