Les Baladins du Miroir en interview pour Désir, terre et Sang

Crédits photos : Pierre Bolle

Du 22 au 25 novembre 2019, les Baladins du Miroir seront sur la place Sainte-Alix de Woluwe-Saint-Pierre. Ils nous feront découvrir leur dernière création sous chapiteau : Désir, terre et sang. Entretien avec Gaspar Leclère, comédien et directeur artistique de la troupe.


Pouvez-vous nous dire de quoi parle votre nouveau spectacle pluridisciplinaire Désir, terre et sang ?

Désir, terre et Sang est la dernière création des Baladins du Miroir. On a plusieurs spectacles à l’affiche. Tous les 15 mois, on essaye de faire une grosse production qui va rester à l’affiche entre 3 et 7ans (…). C’est une première à Woluwe pour nous. On s’est dit que c’était l’occasion d’aller découvrir des nouveaux espaces et des nouveaux publics. Pour cette dernière production, on sera 17 sur scène.

Ici, il s’agit d’une composition à partir de trois œuvres de Federico Garcia Lorca, un poète espagnol qui a fondé une troupe de théâtre itinérante en Espagne dans les années 1900 et qui a voulu faire un théâtre populaire. On a travaillé avec trois de ses pièces : La Maison de Bernarda Alba, Yerma et Les Noces de sang. Les trois vont tourner autour d’une des obsessions de l’auteur : le statut de la femme dans la société au début du siècle passé.

La première pièce raconte l’histoire d’une mère qui oblige ses filles, en âge de se marier, à rester à la maison pendant huit ans et à pleurer leur père disparu.  C’est le rapport à la tradition qui est mis en avant ici. La seconde pièce, Yerma, parle d’une femme qui n’arrive pas à avoir d’enfant. On la regarde de travers sans remettre son mari en cause. Les noces de sang, quant à elle, parle d’un mariage arrangé. La jeune fille a été fiancée plus jeune à un autre homme qu’elle n’a pas pu épouser à cause de leur différence sociale. Son ancien fiancé finira par venir durant les noces et s’enfuira avec elle. Lorca, c’est une grande tragédie. Il dépeint le monde dans lequel on vit et, en même temps, il le tire à son paroxysme au niveau de ses joies et de ses douleurs. Désir, Terre et Sang est donc un extrait de chaque spectacle que l’on a entremêlé pour en faire une nouvelle histoire.

C’est intéressant de se rendre compte qu’un siècle plus tard, les questions sur le statut de la femme n’ont pas beaucoup changé. On parle beaucoup de féminicides aujourd’hui… Il faut se rendre compte que tous les cinq jours un homme tue sa femme. Notre rôle ne sera pas de dénoncer, mais de poser des questions. Comment ça se fait que la femme est enfermée dans des carcans ?

Le choix des pièces s’est-il fait au niveau de l’auteur ou des thèmes abordés ?

Les Baladins ont une tradition de jouer souvent des œuvres classiques et parfois des œuvres contemporaines. C’est important de dire qu’il n’y a pas de forme ni de style. Par exemple, le burlesque Rock and Roll dans Le Roi Nu. On y tourne le totalitarisme en dérision, sans jamais donner d’explications aux gens, juste leur poser les questions. Avant ça, on a monté Brecht, que plus personne ne montre. (…) On a joué la poésie de Brecht et on en a fait une création qui parlait de la pauvreté : comment on se positionne quand on a quelqu’un de pauvre en face de nous et comment on réagit si quelqu’un autour de nous gagne au Lotto par exemple.

Désir, terre et sang est une coproduction avec l’Infini théâtre. C’est Dominique Serron qui est venu avec ce projet très intéressant. En tant que directeur artistique, j’avais fait le choix de ne pas vouloir être le seul créateur, mais d’ouvrir à d’autres possibilités. (…) Mon idée était d’inviter d’autres metteurs en scène à s’emparer de notre outil et de notre expérience pour explorer de nouveaux espaces. Le projet avec lequel Dominique Serron est venu est très intéressant, parce qu’il permet de casser des codes installés chez nous. Elle est une très bonne pédagogue et nous apporte aussi d’autres codes. Cela nous permet de nous remettre en question. Elle a réussi à faire sortir des choses extraordinaires des gens de la troupe.

Ce sont trois pièces assez denses qui datent des années 1930. Comment avez-vous déterminer ce que vous alliez garder pour parler au public d’aujourd’hui ?

Il y a des textes qui sont universels, c’est comme la musique. Si on écoute encore Mozart aujourd’hui, c’est parce que c’est toujours terrible à écouter. C’est devenu classique, parce qu’on n’a jamais arrêté de l’écouter. Pourquoi on continue à jouer Shakespeare aujourd’hui ? Ce n’est pas parce que c’est la mode, c’est parce que c’est terrible ce qu’il a écrit. Molière aussi. Pourtant il y avait des milliers d’auteurs et beaucoup sont oubliés. Aujourd’hui lesquels resteront ? Ceux qui marqueront et qui, avec le temps, ne vont pas se démoder. Lorca est indémodable. Ce qu’il dit est d’une telle vérité, c’est tellement frappant… qu’il pousse les choses, les enjeux à leur paroxysme. On ne peut que s’approprier, adhérer ou non… En tout cas, on ne peut pas sortir indemne. Autant dans Le Roi Nu, c’était burlesque. Ici, on sort avec les larmes aux yeux, même si on a passé un moment festif. (…) On prend le texte et on le travaille pour voir ce qu’il nous dit aujourd’hui et comment il nous parle. Dans les costumes, par exemple, il n’y aura pas une unité de costumes qui fait penser au début du XXe siècle. La jeune fille est en jeans et en bottes, parce qu’aujourd’hui il y a encore ce « je dois plaire », « j’ai besoin de l’aval de mes parents », …

Les spectacles des Baladins du miroir se déroulent sous chapiteau. Diriez-vous que ce côté itinérant et « hors les murs » rejoint d’une certaine façon l’esprit de liberté de Federico Garcia Lorca ?

Il y a forcément un trait d’union qui se fait étant donné que Lorca a créé un théâtre itinérant. En plus, les Baladins du Miroir auront bientôt 40 ans ! Ce sera une autre occasion pour rendre hommage à ce théâtre. On ne se fige pas à une époque ou dans un style particulier de théâtre. Il n’y a pas de style ni de forme. C’est un esprit de travail. C’est un rapport que l’on propose au public. Le chapiteau, c’est un endroit où les gens sont curieux d’aller voir ce qu’il se passe à l’intérieur. (…) Je dis toujours que l’on va chez les gens pour les inviter chez nous.

Quels sont vos projets pour la suite ?

On arrête la tournée à la fin du mois et on prépare des ateliers sur les prochains spectacles. On a aussi d’autres spectacles qui vont tourner comme Le Roi Nu, remonter Brecht et Lorca va partir en tournée l’été. Le projet Lorca a la particularité de pouvoir être multilingue, comme on travaille avec la vidéo. On va pouvoir avoir certaines traductions. On a aussi composé le spectacle de façon à pouvoir intégrer des comédiens en doublon qui parleront d’autres langues. Donc on est 17 sur le plateau, mais 25 en tout. Ça permet aussi aux comédiens de pouvoir travailler sur plusieurs projets en même temps sans pénaliser la troupe.

Et on a aussi beaucoup de travail vu que l’on va aussi préparer nos 40 ans. J’ai le projet d’écrire une pièce avec un autre auteur pour l’occasion. (…) On a tout une série de rendez-vous tous les mois en 2020, chez nous. Oui, chez nous, parce qu’on a un lieu, on est itinérants mais pas des nomades. On va d’un lieu à un autre, mais on revient toujours au même port d’attache. (…) L’itinérance c’est le moyen que l’on a choisi pour diffuser notre art. C’est une métaphore symbolique de ce qu’on a envie de faire.

Plus d’infos sur : http://www.lesbaladinsdumiroir.be/