La vie comme elle vient au Public jusqu’au 16 avril

© Gael Maleux

D’Alex Lorette. Mise en scène de Denis Mpunga. Avec Jo Deseure, Majnun et Elsa Poisot. Du 9 mars au 16 avril 2022 au Théâtre Le Public. 

Nous avons tous eu un jour ce sentiment d’appartenance. L’appartenance à un pays, l’appartenance à une religion, l’appartenance à une famille… Mais comment cette appartenance se met-elle en place ? Comment en arrive-t-on à se sentir relié à une chose, une personne, un endroit… plus qu’une autre ? C’est une question à laquelle Alex Lorette semble tenter de répondre à travers La vie comme elle vient, en abordant toute la complexité des sentiments qui nous animent aux diverses étapes de nos vies.

Sur scène, un décor riche, coloré. Le sol est pavé d’une multitudes de tissus en patchwork qui nous évoquent l’Afrique. Au centre de la scène, trône Lucie, interprétée par Jo Deseure. Lucie est assise sur une espèce de trône et le patchwork l’englobe, elle ne fait qu’un avec lui, elle ne fait qu’un avec l’Afrique. Un acteur, Majnun, homme noir vêtu de blanc, se tient calmement assis d’un côté de cette scène enflammée. Dans le fond de la scène, nous distinguons vaguement deux décors distincts, comme deux petites scènes, ainsi qu’Elsa Poisot, dont l’ombre attend en silence dans l’une d’elle. Tout au long du spectacle, Jo Deseure demeurera sur son trône, tantôt debout, tantôt assise. Tandis qu’elle ne jouera que Lucie et récitera son discours dans un monologue impeccable de vivacité, ses deux comparses prendrons chacun la place des personnages issus de la mémoire de l’actrice principale. Un jeu de lumière, quant à lui, nous indiquera où poser notre regard et suivra nos acteurs dans leurs rôles.

L’histoire débute calmement. Lucie, une femme blanche d’un certain âge, nous raconte qu’elle est noire en dedans. Elle prend son temps pour fixer les bases, évoquer des dates, nous nous y perdons quelques fois dans les divers aller-retours, mais cela n’entache en rien l’histoire et son symbolisme. Lucie nous raconte, dans de grands monologues entrecoupés de petites tranches d’humour, comment elle, une belge, est née en Afrique au milieu de la fumée. Elle nous raconte avec emphase ou retenue, avec tristesse ou colère, comment elle a grandi, comment elle est devenue noire en dedans. Elle nous raconte comment elle a vécu en Afrique, et comment elle a vécu en Belgique. Et elle nous parle de Félicité, sa fille métis. Dans son histoire, nous voyons un homme noir jouer un homme blanc aux propos racistes, des collègues et des enfants tenir des propos racistes, du jugement de la part de proches aussi. Nous nous questionnons sur l’amour, la fraternité et la maternité. Sur nos droits également… et sur notre race. Lucie, bien que belge, se sentait africaine. Et sa fille, Félicité, née en Afrique et métis de peau, bien qu’elle ait commencé sa vie en Belgique dans un environnement nocif et raciste, se sentait belge. Lucie nous parle également de sa relation avec sa fille, et des doutes de cette dernière sur son origine biologique. Lucie est-elle vraiment sa mère, avec cette peau si claire, si différente de sa propre peau ? C’est une tranche de vie émouvante et complexe que nous conte Lucie. Et dans toute vie, il y a une fin. Sa fin à elle, se déroule comme elle a commencé : en Afrique, au milieu de la fumée, là où est resté son cœur.

La vie comme elle vient est une pièce complexe, riche en questionnements. Elle nous fait repenser à tout ce jugement qui nous entoure, et à toute l’évolution qu’il nous faudra encore provoquer avant d’espérer pouvoir se détacher de ce jugement. Et nous sommes reconnaissants. Reconnaissants de l’évolution qui a déjà pris cours entre le 20ème et le 21ème siècle. Reconnaissants de toutes les possibilités qu’on aujourd’hui les femmes enceintes, peu importe leur âge. Reconnaissant que les races ne dirigent plus nos choix comme elle ont pu le faire dans le passé. Et nous sommes pleins d’espoir. Nous espérons que l’évolution nous mènera vers plus d’empathie, et vers moins de cases, afin que chacun puisse se sentir libre de ses appartenances.