« La Ruse », l’homme qui n’existait pas

La Ruse
de John Madden
Guerre, Drame, Historique
Avec Colin Firth, Matthew Macfadyen, Kelly Macdonald
Sorti le 27 avril 2022

Depuis la sortie de The Imitation Game relatant la résolution du système Enigma par Alan Turing, une nouvelle tendance semble se dessiner dans le cinéma de guerre : celle des hommes de l’ombre. Cette façon de présenter le rôle des intellectuels restés à l’écart du front vient ainsi jeter un œil nouveau sur l’histoire du Seconde Conflit mondial.

Si l’on avait déjà pu voir la folle Opération Copperhead dans le film Contre-espionnage à Gibraltar en 1958, La Ruse vient aujourd’hui plonger le spectateur dans les coulisses de l’Opération Mincemeat !

La Ruse est l’adaptation du livre L’homme qui n’existait pas d’Ewen Montagu, officier du renseignement naval britannique ayant dirigé cette opération de désinformation et relaté son expérience en 1954. Déjà portée au cinéma en 1956 par Ronald Neame dans L’homme qui n’a jamais existé, cette histoire raconte comment les Alliés auront trompé les nazis pour organiser le débarquement de Sicile en 1943.

Comme l’écrivait Montagu : « Si la Sicile était pour nous une probabilité évidente – une fois l’Afrique du Nord entre les mains des Alliés – il en serait de même pour les Allemands. En fait, comme le dit par la suite le Premier ministre, il importait peu de risquer de révéler la Sicile comme objectif, car le ‘’dernier des imbéciles saurait que c’est la Sicile’’. Comment, le moment venu, empêcher les Allemands de renforcer dangereusement les défenses en Sicile alors qu’ils feraient le même raisonnement stratégique qui amenait les Alliés à attaquer ? ».

C’est ainsi que le renseignement britannique eut l’idée de mettre en place un subterfuge consistant à abandonner sur les côtes espagnoles un cadavre – le factice capitaine William Martin, créé de toutes pièces grâce au corps sans vie d’un vagabond nommé Glyndwr Michael –  transportant des documents confidentiels, dans l’espoir qu’un espion en livre copie à Adolf Hitler.

Disons-le tout de suite, La Ruse est un excellent film. Comme souvent dans les récentes productions anglaises, on y trouve un casting de choix, une réalisation soignée, des enjeux captivants et des atmosphères britanniques bien reconnaissables. Si Colin Firth ne ressemble physiquement en rien au véritable Ewen Montagu, il livre une fois encore une excellente prestation, tout comme Matthew Macfadyen, Jason Isaacs et Kelly Macdonald. Le film mérite ainsi d’être vu, ne serait-ce que pour l’invraisemblance que constitue cette histoire !

Quelques très infimes détails viendront cependant parasiter l’intrigue (probablement pour la diversifier et ne pas s’en tenir au seul épisode militaire), notamment les problèmes de couple rencontrés par le principal protagoniste ou l’intervention de la sœur du cadavre utilisé pour l’opération. En réalité, on sait peu de choses sur ce dernier point : Ewen Montagu lui-même écrivait avoir demandé l’autorisation au père du défunt pour utiliser son corps mais peu de preuves historiques sous-tendent cette affirmation et l’on considère généralement que celui-ci était un vagabond sans famille. L’intervention de cette prétendue sœur sera alors utilisée pour renforcer le côté cynique et désespéré de l’opération.

On trouvera encore plusieurs scènes dans lesquelles apparaîtra Ian Fleming, célèbre créateur de James Bond ici incarné par l’acteur Johnny Flynn. Fleming était, durant la Deuxième Guerre mondiale, officier du renseignement naval et aura rédigé le « Mémo de la truite »  (Trout Memo) rassemblant plusieurs suggestions visant à tromper l’ennemi. La vingt-huitième de ces propositions aura servi de base à Mincemeat. Au-delà de cette brève contribution, il n’aura pas joué de rôle particulier dans la mise en place de l’opération. Sa présence servira alors surtout d’argument marketing, tandis qu’on le verra brièvement rédiger un « roman d’espionnage » – alors qu’il n’inventera James Bond qu’en 1953, dans sa résidence de Goldeneye en Jamaïque.

Derrière ces infimes et dérisoires détails, La Ruse est un récit complet et fascinant qui aura encore le mérite d’honorer le véritable capitaine William Martin ! Car l’identité de Glyndwr Michael, le cadavre ayant servi à planifier l’opération ne sera en réalité découverte qu’en 1996. Par ailleurs, là où L’homme qui n’a jamais existé, la première adaptation cinématographique intégrait à son propos un espion nazi menant son enquête à Londres (mais n’ayant en réalité jamais existé), La Ruse s’en tient à la stricte vérité historique !

Ce nouveau film de John Madden est ainsi une excellente portée à l’écran de l’une des plus fascinantes opération de désinformation de la Seconde Guerre mondiale et mérite largement d’être vu, ne serait-ce que par curiosité historique. De quoi espérer qu’un autre film sera un jour consacré à l’opération Fortitude et à la Ghost Army qui utilisait des chars d’assaut gonflables pour tromper l’ennemi en lui faisant croire à la supériorité militaire… Comme quoi derrière l’horreur de la guerre, l’imagination aura toujours su triompher de la barbarie !